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Dr g. le bon. — la question des criminels.

qui les ont fait agir, et changer par conséquent la série des antécédents qui ont engendré le crime ou l’acte vertueux. Pour se représenter saint Vincent de Paul découpant en morceaux une vieille femme après l’avoir violée, il faut supposer à cet homme doux et charitable une organisation tout autre que celle qu’il possédait, c’est-à-dire se représenter un individu entièrement différent de celui qui fut saint Vincent de Paul. Aliénés ou non, nous commettons aussi fatalement le bien ou le mal que le fléau d’une balance dont les plateaux sont chargés de poids inégaux penche fatalement vers le plus lourd.

Mais je laisse de côté ces discussions théoriques. Elles pourraient prêter à des controverses qui seraient sans intérêt ici, puisque, quelle que soit l’opinion que l’on professe relativement au libre arbitre. les conclusions que nous formulerons bientôt sur les criminels ne sauraient nullement en être atteintes. Je ne veux aborder dans ce travail que des questions pratiques, et, à ce point de vue, mon terrain est trop sûr pour que je ne tienne pas à m’y maintenir. Tout ce que je viens de dire de la constitution mentale des criminels n’implique nullement comme nous le verrons bientôt l’inutilité de la répression des crimes. Cette répression est au contraire indispensable pour tous les criminels, et surtout pour cette classe si nombreuse dont nous avons parlé, qui n’est arrêtée que par la crainte de la répression. Pour tous, aliénés ou sains d’esprit, la répression doit exister ; mais avec les progrès de la science moderne elle doit se transformer entièrement.


III


La question que nous venons de traiter au point de vue médical et psychologique, nous devons l’étudier maintenant au point de vue juridique et social.

En théorie, ces deux points de vue paraissent se confondre, car la loi est faite théoriquement par et pour la société mais en pratique il en est tout autrement. Sans doute, la loi n’est guère que la formule écrite de l’opinion et correspond bien, quand elle se produit, aux besoins de la société où elle prend naissance ; mais, conservatrice par nature, elle retarde toujours sur l’opinion. Or, comme l’opinion n’adopte elle-même qu’assez tard les nécessités qu’engendrent certaines transformations sociales, il en résulte que des lois d’abord tout à fait adaptées aux besoins de certaines époques ne le sont plus ensuite aux besoins de certaines autres. Elles finissent alors par