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Dr g. le bon. — la question des criminels.

En six ans, les récidives ont, comme on le voit, augmenté de 13 657. Les deux tiers de ces récidivistes (46 627 en 1877) n’avaient d’abord été condamnés qu’à des peines ne dépassant pas un an de prison.

En même temps que les récidives augmentent et que, sous l’influence des idées humanitaires, le seul châtiment vraiment redouté de certains criminels, la peine de mort, est de plus en plus rarement appliquée, le nombre des grands crimes augmente rapidement. Les chiffres suivants, également puisés aux sources officielles, en fourniront la preuve catégorique :

Nombre de crimes contre les personnes (Assassinats, blessures, etc.).
Années. Nombre
des accusés.
Peines de mort
exécutées.
1872 
1884 26
1873 
1954 15
1874 
1972 13
1875 
2023 12
1876 
2101 18

Je ne veux pas trop insister sur les graves enseignements que portent en eux ces chiffres ; mais n’est-il pas remarquable que, à mesure que la peine de mort devient plus rare, le nombre des grands crimes augmente ? N’est-il pas évident qu’il y a là un terrible argument contre sa suppression ?

Un savant économiste, M. de Molinari, a fait récemment des calculs instructifs sur les chances de mort auxquelles on s’expose en exerçant régulièrement le métier d’assassin ou certaines professions dangereuses, comme celle de mineur. Prenant en considération le nombre de crimes commis annuellement, et le comparant aux chances de mort dans certains métiers, tels que celui de mineur, remarquant également que dans les statistiques belges et anglaises, les seules publiées, les auteurs des trois quarts des crimes dénoncés à la justice restent inconnus, qu’un criminel seulement sur six peut être atteint et puni, que sur trente-six assassins il n’y en a qu’un de guillotiné, l’auteur arrive à cette conclusion que le métier d’assassin est beaucoup moins périlleux que celui d’ouvrier mineur, et « qu’une compagnie d’assurance qui assurerait des assassins et des ouvriers mineurs pourrait demander aux premiers une prime inférieure à celle qu’elle serait obligée d’exiger des seconds. »

L’influence des prisons est nettement jugée par tout ce qui précède. Que la société se venge de l’offense commise par un criminel en l’enfermant, ce procédé enfantin est son droit ; mais elle ne doit pas oublier en même temps que cette vengeance, elle la payera fort chère, et que le criminel, qui n’était souvent que faiblement à craindre