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pour elle avant d’être entré en prison, sera toujours devenu fort dangereux quand il en sera sorti. Les grands crimes, en effet, ont presque toujours pour auteurs des individus qu’on a eu le tort d’enfermer pour des fautes légères.

Que les prisons puissent améliorer un criminel, c’est là une de ces idées qui ne couveraient plus de défenseurs aujourd’hui parmi les personnes compétentes. J’admettrais volontiers, au point de vue théorique, qu’en les transformant radicalement, et ce ne seraient plus alors des prisons, elles pourraient avoir une action utile sur cette catégorie de natures neutres dont j’ai décrit plus haut la constitution mentale ; mais ce serait au prix d’une telle dépense de travail et d’efforts qu’on ne trouverait personne pour se charger d’un pareil labeur. Au point de vue pratique, la possibilité théorique de cette amélioration est donc sans valeur. Rien n’est plus facile que de prouver théoriquement, — théoriquement seulement, — la possibilité de l’amélioration d’une certaine catégorie de criminels. Les caractères neutres et indécis dont j’ai parlé font indifféremment en effet le bien ou le mal suivant les influences agissant sur eux, et feront par conséquent le bien si on les place sous l’influence de motifs plus puissants que ceux qui les poussaient au mal. L’espérance d’une réhabilitation prochaine, d’une réduction de leur peine, d’un régime graduellement amélioré avec leur bonne conduite, la possibilité de rendre leur situation meilleure par un travail librement choisi par eux, constituent de tels motifs. C’est par l’emploi de ces moyens qu’on a réussi dans quelques expériences célèbres à améliorer un certain nombre de détenus. Telles sont les expériences du gouverneur Obermann sur 600 prisonniers de Munich, du capitaine Maconochie à l’île de Norfolk et du colonel Montesinos à Valence. Bien que couronnées d’un entier succès, de telles tentatives n’ont pas été répétées et ne pouvaient guère l’être. Transformer la prison, ce premier degré des plus noirs bas-fonds sociaux, en une maison d’éducation, donner à l’individu qui y séjournera tout ce qui lui manquait, est certes une de ces œuvres dont je dirai qu’aucune n’est peut-être plus grande et ne mérite davantage notre reconnaissance et notre admiration ; mais c’est en même temps une de ces œuvres que peuvent seuls réussir des hommes doués de la plus vaste intelligence et du plus grand caractère, des hommes entreprenant une tâche avec cette foi qui fait qu’on s’y adonne tout entier. Peut-on vraiment espérer rencontrer de telles qualités dans les natures tout à fait subalternes qu’on place à la tête des prisons et dont les pouvoirs sont étroitement limités par les prescriptions d’une bureaucratie minutieuse et inquiète ?