Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 11.djvu/589

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
585
g. guéroult. — du rôle du mouvement

moyen de mouvements, très rapides et très compliqués, qu’ils peuvent nous fournir les matériaux de nos perceptions.

C’est dans ce mouvement oculaire que réside, suivant nous, l’élément principal de l’émotion esthétique qui naît de la contemplation des formes architecturales. Suivant une très juste et très heureuse expression de Sully-Prudhomme, ces formes constituent la trajectoire, le motif d’un mouvement où notre regard joue le rôle de mobile.

Dans ce système, il devient facile d’expliquer l’émotion esthétique engendrée par le spectacle de formes matérielles ; il suffit, en effet, de recourir aux considérations générales précédemment invoquées à propos du mouvement. Toutes choses égales d’ailleurs, les édifices de grande dimension produiront une impression plus profonde que les petits monuments, de même que les flots de la mer constituent un spectacle plus émouvant et plus grandiose que les vagues d’un lac ou d’une rivière. S’il était permis de se servir ici d’une expression usitée en mécanique, nous dirions qu’il y a une relation très appréciable entre la quantité du mouvement et l’intensité de l’émotion éprouvée.

Remarquons cependant que le regard exécute des mouvements purement angulaires ; la perception de profondeur s’anéantit rapidement avec la distance. Il suit de là que, pour parcourir les contours d’un petit objet situé tout près, ou d’un objet de grande dimension situé plus loin, les yeux peuvent exécuter les mêmes mouvements. Pour avertir le spectateur qu’il a devant lui un édifice de grandes dimensions, il est nécessaire de faire intervenir certains éléments accessoires, comme, par exemple, la possibilité de la comparaison du monument avec des maisons voisines dont la hauteur est connue, ou, mieux encore, l’établissement d’une grande place en avant de l’édifice. Un autre procédé, plus sûr encore, consiste à donner à l’une des trois dimensions, hauteur, largeur ou profondeur, une prépondérance marquée sur les deux autres. On simplifie, en effet, de cette manière, le travail auquel l’esprit du spectateur est obligé de se livrer. En deux coups d’œil, a pu juger que, si la façade de telle église offre à peu près la même largeur que celles des maisons environnantes, elle les dépasse en hauteur ; cela suffit pour donner l’idée d’un édifice de dimensions plus vastes.

Maintenant, à laquelle des trois dimensions, hauteur, largeur et profondeur, faut-il attribuer la prépondérance ? La profondeur ne joue un grand rôle que pour la vue intérieure des mouvements ; les mouvements de l’œil, ou plutôt des deux yeux, qui nous en donnent la perception, ont une étendue très restreinte. Si vous regardez une route placée droit devant vous, votre regard ne peut pas aller plus