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g. guéroult. — du rôle du mouvement

considérable dans l’impression qu’il éprouve à la vue d’un beau monument. Comme nous le disions plus haut, si l’architecte a fourni la trajectoire, le motif du mouvement oculaire, c’est le regard du spectateur qui se meut, c’est l’imagination du spectateur qui interprète à sa manière, et suivant sa nature, le caractère et la portée esthétique de ce mouvement. Un homme méticuleux, méthodique, dont le regard parcourra à tout petits pas, pour ainsi dire, toujours dans le même ordre, les différents éléments d’un édifice ; qui montera et redescendra consciencieusement chaque colonne, chaque pilastre, éprouvera une impression bien moins vive que celui qui, par des coups d’œil rapides et bien dirigés, embrassera tout d’abord l’ensemble de l’édifice. Nous retrouverons partout d’ailleurs, dans le cours de cette étude, la démonstration de cette vérité, sur laquelle on a peut-être trop peu insisté jusqu’ici dans l’effet de toute œuvre d’art, le spectateur ou l’auditeur est toujours de moitié avec l’artiste.

2o Sculpture.

La plupart des considérations développées précédemment, pour l’architecture, s’appliquent également à la sculpture. Pour une statue, pour un groupe, pour un relief, comme pour un édifice, le regard ne peut fournir, à l’intelligence, les matériaux de la perception qu’à la condition d’exécuter un ensemble de mouvements, et c’est encore de ces mouvements que naît l’émotion esthétique. Ici pourtant intervient un élément nouveau sur lequel il est utile d’insister, car nous le retrouverons agissant avec plus de puissance encore en peinture. Au point de vue purement artistique, un monument d’architecture ne représente rien et ne parle directement ni à la mémoire, ni à l’intelligence, ni à ce que nous appellerons, d’un mot dont le sens s’éclaircira, la portion littéraire de l’imagination. Mettons un moment de côté les édifices d’un caractère religieux ou historique ; il est certain que la salle des Pas-Perdus de la gare d’Orléans nous apparaît comme architecturalement fort belle et imposante, et il est non moins certain que, ni sa très prosaïque destination, ni les difficultés techniques vaincues pour construire cette immense halle, difficultés que la plupart des spectateurs ignorent, n’entrent pour rien dans cette impression. Et ceci s’applique évidemment au fameux pont du Gard, à l’aqueduc de Roquefavour. et même aux Arènes de Nîmes, etc. Comme nous le disions plus haut, on peut comparer un beau et vaste monument à une symphonie de musique instrumentale. Je ne sais pas le sujet qui a pu inspirer à