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Beethoven la symphonie en la, ou la symphonie en ut mineur, et je n’en suis pas moins profondément remué par ces gigantesques constructions de l’art musical. En sculpture, il n’en est pas de même. Une statue représente un personnage contemporain ou historique ou mythologique, ou, ce qui revient au même, la personnification d’une idée abstraite, d’une allégorie, à laquelle se rattachent des notions précises, connues. En un mot, nous voyons intervenir ici, pour la première fois, le sujet dans l’œuvre d’art. Ce sujet, connu du spectateur, éveille en lui des souvenirs ; son imagination a pu ou peut travailler à créer, dans son esprit, une forme qui n’est pas nécessairement celle qu’a réalisée l’artiste. Les mouvements oculaires n’agissent plus seuls, comme dans le cas précédent. C’est à la fois une force et une faiblesse. Parfois la concordance parfaite des impressions qui nous arrivent par l’œil avec celles que nous fournissent l’imagination et la mémoire vient accroître l’impression artistique dans des proportions considérables. C’est le cas, par exemple, de cette admirable statue de Voltaire de Houdon qui est au foyer du Théâtre Français, l’un des plus merveilleux chefs-d’œuvre, à mon avis, de la sculpture de tous les temps. « Notre ami, disait Vasari dans une lettre, ne se ressemble pas tant à lui-même que ne lui ressemble le portrait que Raphaël a fait de lui. » Tout Voltaire est dans ce marbre ; la bouche vient de lancer quelque mordante épigramme, les yeux pétillants de verve et de malice sont tout prêts à s’attendrir sur les malheurs de Calas. Dans ce crâne dru, serré, petit, mais merveilleusement travaillé, on sent qu’il n’y a pas un centimètre de perdu, et l’on devine le génie encyclopédique, la curiosité universelle et insatiable de cette admirable organisation. En un mot, l’impression qui résulte de la lecture de l’œuvre colossale de l’écrivain français se trouve concentrée, résumée tout entière dans quelques lignes de pierre, que le regard embrasse d’un coup d’œil. Tous les ouvrages de Voltaire seraient anéantis qu’il suffirait du marbre de Houdon pour reconstituer, en traits impérissables, le souvenir de ce grand esprit.

En revanche, toutes les fois que la sculpture a voulu s’occuper de Jeanne d’Arc, l’impression littéraire et historique a dominé, combattu, affaibli l’impression artistique. L’idée que, nous autres Français, nous nous faisons de notre héroïne nationale, a un caractère collectif, en quelque sorte, qui dépasse de beaucoup les conceptions particulières.

D’une manière générale, nous dirons que le sujet, en sculpture comme ailleurs, n’a guère d’importance que pour l’artiste lui-même. Quand il se sent attiré par quelque personnage historique, ou que telle