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savoir si l’obligation est explicable et si l’on peut faire comprendre comment elle se produit.

Kant pose lui-même le problème et montre d’abord que l’obligation suppose un certain intérêt, un certain plaisir produit-par la raison et qui la rend pratique.

« Pourquoi, se demande-t-il, dois-je me soumettre à ce principe (d’une législation universelle), en ma qualité d’être raisonnable en général, ou pourquoi tous les êtres doués de raison y sont-ils soumise ? J’accorde qu’aucun intérêt ne m’y pousse ; mais il faut pourtant bien que j’y prenne un intérêt et que je sache comment cela arrive[1]

D’où vient donc que la loi morale oblige ? » « On appelle intérêt ce qui fait que la raison est pratique, c’est-à-dire devient une cause déterminant la volonté[2]. » — « Pour qu’un être raisonnable, mais sensible, puisse vouloir ce que la raison seule lui prescrit comme un devoir, il faut sans doute qu’elle ait le pouvoir de lui inspirer un sentiment de plaisir ou de satisfaction lié à l’accomplissement du devoir, et par conséquent il faut qu’elle ait une causalité qui consiste à déterminer la sensibilité conformément à ses principes[3]. »

La question ainsi posée, voici la réponse de Kant : « Il est absolument impossible d’apercevoir, c’est-à-dire de comprendre à priori, comment une pure idée, qui ne contient elle-même rien de sensible, produit un sentiment de plaisir ou de peine, » et, conséquemment, un intérêt et un sentiment d’obligation. « C’est là d’abord une espèce particulière de causalité, dont nous ne pouvons, comme cela est vrai aussi de toute autre, rien déterminer à priori. Reste l’expérience mais l’expérience ne peut nous montrer un rapport de cause à effet qu’entre deux objets d’expérience, et ici la raison pure doit être, par de pures idées, qui ne donnent aucun objet d’expérience, cause d’un effet, qui d’ailleurs tombe assurément dans l’expérience. D’où il suit qu’il nous est absolument impossible, à nous autres hommes, d’expliquer pourquoi et comment l’universalité d’une maxime comme loi nous intéresse... Comment la raison pure peut-elle être pratique par elle-même, sans le secours d’aucun mobile étranger, c’est-à-dire comment ce simple principe de la validité universelle de toutes ses maximes comme lois, lequel serait la forme d’une raison pure pratique, peut-il, sans aucune matière, aucun objet de la volonté à quoi l’on puisse déjà prendre quelque intérêt, fournir par lui-même un mobile et produire un intérêt purement

  1. Métaph. des mœurs, tr. Barni, p. 103, 104.
  2. Ibid., p. 120, note.
  3. Ibid., p. 121.