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a. fouillée. — critique de la morale kantienne.

qu’un phénomène relatif. De plus, quand même la responsabilité serait encore possible, comment faire pour chacun la vraie part de la responsabilité personnelle ? Cette idée n’est pas moins insaisissable que les autres dans le kantisme. En effet, mon moi-noumène sera-t-il seul responsable d’avoir produit la totalité de mon existence phénoménale ? Il faut alors concevoir mon existence comme formant un tout séparé du reste de l’univers et attribuable à mon seul moi nouménal. Or le déterminisme universel, admis par les Kantiens, rattache mon existence sensible à celle de tous les hommes qui m’ont précédé et à celle de l’univers entier. Ma responsabilité individuelle se perd donc dans la responsabilité collective, qui elle-même se perd dans la responsabilité de la cause première, unique auteur de tout le monde des phénomènes. Aussi Kant reconnaît-il lui-même que « la moralité propre de nos actions nous est profondément cachée. Nos imputations ne peuvent se rapporter qu’au caractère empirique. Personne ne peut donc faire la juste part de la liberté, de la simple nature, celle du tempérament involontairement mauvais ou bon (merito fortunæ), ni par conséquent juger avec une parfaite justice[1]. » Disons mieux, personne ne peut porter ni sur autrui ni sur soi un jugement moral quelconque ni faire une part quelconque à la liberté, puisque tout est déterminé dans l’ordre des phénomènes par la totalité de l’univers et que, dans l’ordre des noumènes qui échappe à l’homme, la liberté que l’homme se « suppose » demeure un x indéterminable. Kant n’a donc point démontré que le devoir et la responsabilité n’impliquent aucune impossibilité intrinsèque, que ce sont des idées offrant un sens, résultant d’une comparaison légitime entre l’homme éternel et l’homme temporel. Le résultat de cette comparaison, au lieu de nous montrer ce qui peut être et doit être, nous montre deux choses séparées dont l’une est nécessitée à la perfection, l’autre à l’imperfection, sans lien saisissable entre les deux.

II

le devoir et la responsabilité sont-ils compréhensibles ? le mystère moral.

En supposant que l’obligation, avec les conséquences qui en découlent, mérite et responsabilité, ne soit pas impossible chez l’homme tel que Kant le conçoit, une nouvelle question se pose, celle de

  1. Raison pure, trad. Barni, p. 251, note.