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a. fouillée. — critique de la morale kantienne.

de la raison pure », la liberté. Celle-ci est prouvée comme chose de fait précisément par sa nécessité pour la loi morale[1] et, « dans l’expérience » par les « actions réelles » où la loi morale se trouve engagée. La loi morale parait donc présentée ici par Kant comme antérieure aux choses de fait proprement dites.

Dans sa Logique, Kant appelle la réalité de la loi morale un axiome. « On ne peut donner une réalité objective à aucune idée pure théorique, dit-il, ou prouver cette réalité, si ce n’est pour l’idée de liberté ; la raison en est que la liberté est la condition de la loi morale, dont la réalité est un axiome[2]. » D’autre part, selon Kant, un axiome est un « principe intuitif » ou « pouvant être exposé en intuition » et non pas seulement en « notions générales[3]. » Par exemple, l’axiome géométrique de la ligne droite peut être exposé en intuition et non pas seulement en notions générales. Peut-on donc dire que la loi morale ait une intuition qui lui corresponde ? — Ce ne pourrait être que celle de la liberté, qui précisément lui manque.

Enfin, dans la Métaphysique des mœurs et dans la Critique de la raison pratique, la loi morale est appelée un fait, « un fait de raison », qui est en même temps un fait de conscience[4].

L’opinion la plus plausible est, selon nous, que la loi morale, aux yeux de Kant, est la raison pure elle-même en tant que pratique, c’est-à-dire exigeant et commandant sa propre réalisation dans le monde sensible et, pour cela, exigeant la forme de l’universalité dans les actions, seule expression possible d’elle-même. Ce commandement, cette loi qui veut que la raison pure soit pratique, soit réalisée en sa forme par les actions sensibles, est un jugements synthétiques à priori, « apodictiquement certain », comme tous les jugements synthétiques à priori. Ce jugement est un objet de conscience ; la raison, dit Kant, « a conscience de la loi morale[5]. » Kant admet donc, en un certain sens, une conscience de la moralité ; mais il faut bien s’entendre sur cette conscience. Elle n’a pas pour objet la moralité même, car alors elle atteindrait l’absolu, la liberté absolue et la volonté absolument bonne. Ce dont nous avons conscience, selon Kant, c’est seulement d’une loi, d’une forme nécessaire, dont l’objet et le fond demeurent cachés. « C’est la loi morale, dit Kant, dont nous avons immédiatement conscience, qui s’offre d’abord à nous… » « Mais commet, ajoute-t-il, la conscience de cette loi est-elle pos-

  1. Ibid., p. 202.
  2. P. 135, trad. Tissot.
  3. Ibid., p. 165.
  4. Voir surtout la Raison pratique, p. 175. édit. Rosenkranz, p. 164.
  5. Critique critique du jugement, tome II, p. 83.