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a. fouillée. — critique de la morale kantienne.

devoir, Kant a suivi fidèlement l’analogie qu’il avait d’abord établie entre cette dernière idée et les précédentes.

En premier lieu, il semble que, si une conséquence ressort des prémisses posées par Kant, c’est le caractère relatif et subjectif des idées de devoir, de libre arbitre, de liberté morale, de responsabilité, qui expriment les rapports moraux du sensible et de l’intelligible. Toutes ces idées supposent en effet, comme nous l’avons vu, la distinction radicale du contingent avec le nécessaire et avec le réel ; or cette distinction vient de ce que nous spéculons par l’entendement abstrait sur le possible et l’impossible, en l’absence d’un entendement intuitif qui nous donnerait à la fois l’intuition et l’intelligence de ce qui est ou arrive comme seule chose à la fois réelle, possible et nécessaire. Quand nous disons qu’une chose devrait être, étant meilleure, et pourrait être par cela même, nous raisonnons dans l’abstrait et peut-être dans l’imaginaire. D’une part, dans le monde intelligible, il n’y a pas lieu de maintenir notre distinction humaine du possible et du réel, du contingent et du nécessaire : là, les choses sont ce qu’elles sont, et voilà tout. Le devoir n’y a pas de sens ; le bien possible y est immédiatement un bien réel  : tout y est toujours et entièrement d’accord avec la loi morale, dit lui-même Kant. D’autre part, dans le monde sensible, le devoir n’a pas davantage de sens, sinon un sens tout subjectif : là encore, rien ne peut être que ce qui est, puisque le déterminisme enchaîne tout : les choses sont ce qu’elles sont et arrivent comme elles pouvaient arriver. Les deux mondes se développent donc chacun dans sa sphère, l’un n’influant sur l’autre qu’en dehors du temps et dans l’éternité, sans qu’on puisse jeter entre eux le trait d’union d’une possibilité distincte de la réalité et d’un devoir distinct à la fois de l’être intelligible et de l’événement sensible. Qu’il s’agisse d’un monde ou de l’autre, « ce qui est est, et ce qui n’est pas n’est pas. » Donc, en parlant d’une nécessité morale inconditionnelle, s’imposant au monde sensible, et d’un pouvoir inconditionnel, s’exerçant dans le monde sensible, nous ne faisons qu’opposer les unes aux autres, en d’incompréhensibles notions, des facultés distinctes seulement dans la condition humaine : la raison et la sensibilité, l’entendement et l’intuition. Nous ne pouvons donc savoir si de telles idées ne sont pas purement subjectives et chimériques, au regard d’un entendement intuitif qui serait capable de tout embrasser.

Il résulte des mêmes prémisses posées par Kant une seconde conséquence : c’est que les idées de devoir et de liberté au service du devoir ont un caractère problématique, analogue à celui qu’offrent l’idée d’un être absolument nécessaire, distinct du monde, et l’idée