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d’une finalité imposée à la nature par une intelligence. Kant, d’ailleurs, reconnaît lui-même, on s’en souvient, que la liberté ou, ce qui revient au même. « la possibilité d’une législation universelle, » est théoriquement problématique ; mais il ne veut pas accorder, au moins dans la pratique, que le devoir le soit également ; les éléments de cette dernière idée sont cependant, comme nous venons de le voir, le nécessaire, le possible. le réel, avec un contraste tout subjectif et problématique entre ces différents termes. À cela, Kant répond que le devoir, « s’il ne détermine pas objectivement la nature de la liberté, n’en prescrit pas moins impérieusement à chacun, d’après cette idée, la règle de ses actions ; » c’est donc le caractère pratiquement impérieux et catégorique du devoir qui lui enlèverait, selon Kant, son caractère théoriquement problématique, ou qui du moins pourrait subsister côté. — Mais, nous l’avons déjà reconnu, le doute théorique supprime aussitôt le caractère catégorique de la règle impérative. Ce caractère prend la forme d’une simple apparence, résultant de notre nature, laquelle, au lieu de produire simplement ce qui arrive ou de constater simplement ce qui est, commande qu’une chose, soit autrement qu’elle n’est et suppose le possible différent du réel. Dès que je me dis : — Le commandement qui m’ordonne de me sacrifier est peut-être fondé sur une illusion, sur une fausse conception de l’univers et de ma propre essence, — je ne me vois plus rationnellement obligé. Si j’éprouve encore ce qu’on peut appeler le sentiment de l’obligation, c’est que je subis malgré moi les impulsions de mes habitudes morales, de mes instincts moraux, qui ne sont peut-être eux-mêmes que des habitudes héréditaires. Mais je puis, à la longue, triompher de ces impulsions toutes mécaniques, et surtout m’affranchir des règles rationnelles que ma raison même a mises en suspicion, comme je puis négliger l’idée de l’absolu ou celle de la finalité dans l’étude et la pratique de la science. Ces dernières idées demeurent sans doute malgré moi dans mon esprit ; mais elles y demeurent à l’état de problème sans réponse ; de même pour le devoir. Je puis bien encore, dans le doute où me laisse cette situation d’esprit, agir pratiquement comme si le devoir avait une réalité objective ; mais c’est alors une sorte de noble hasard que je cours volontairement ; c’est un essai que je fais sous l’empire d’un idéal qui m’attire par sa beauté sans me convaincre de sa vérité.

Une troisième conséquence, admise d’ailleurs par Kant lui-même, c’est que le devoir est un principe purement régulateur, comme l’idée d’absolu, comme l’idée de finalité. Il n’a aucune vertu constitutive qui puisse établir une connaissance objective de la réalité. Mais, de plus, il n’est qu’un régulateur d’actions purement humaines :