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principes cardinaux de la théorie politique. Chez les Grecs d’abord, nous voyons en premier lieu que les tyrans, dont le pouvoir s’éleva souvent sur la ruine des oligarchies locales, avaient des forces armées à leurs ordres. Ou bien le tyran était « le magistrat exécutif auquel l’oligarchie elle-même avait délégué d’importantes fonctions administratives, a ou c’était un démagogue qui plaidait en faveur des prétendus intérêts de l’État, « afin de s’entourer de gens armés, » soldats qui dans un cas comme dans l’autre étaient les agents de son usurpation. Ensuite nous voyons un général heureux faire la même chose. Machiavel tire cette remarque de l’histoire romaine que « plus les généraux portaient leurs armes loin de Rome, plus on sentait la nécessité de prolonger la durée de leur commandement, et plus cette mesure devint commune. Il en résulta d’abord que l’on ne put plus employer au commandement des armées qu’un petit nombre de citoyens, et par suite que peu généraux furent en état d’acquérir une grande expérience et une grande renommée. Puis, quand un commandant en chef fut conservé longtemps à ce poste, il y trouva les moyens de corrompre son armée au point que les soldats abjurèrent l’obéissance due au Sénat et ne reconnurent plus d’autre autorité que celle de leur général. C’est grâce à ces moyens que Sylla et Marius purent débaucher leurs troupes et les pousser à se battre contre leur patrie, et que Jules César parvint à se rendre maître absolu de Rome. »

Les républiques italiennes en fournissent aussi beaucoup d’exemples. Dès le commencement du xive siècle, celles de Lombardie « s’assujettissaient toutes à la puissance militaire de quelques nobles à qui elles avaient confié le commandement de leurs milices, et par là elles perdirent toutes leur liberté. » À une époque plus récente et dans d’autres régions, nous trouvons d’autres exemples. En Angleterre, Cromwell montre comment un général heureux finit par devenir autocrate. Dans les Pays-Bas, de même avec les deux Artewelde, et plus tard avec Maurice de Nassau. Il serait inutile de citer Napoléon, si ce n’était pour la forme. Il faudrait ajouter que la cause qui permet à un chef militaire de s’emparer du pouvoir suprême n’est pas seulement le commandement de la force armée ; la popularité acquise par ce chef, surtout dans une nation militaire, l’élève à une position qui lui rend l’usurpation facile. En dépit de, leur propre expérience et de celle des autres nations dans le passé, les Français ont porté il y a quelques années le maréchal de Mac-Mahon au pouvoir exécutif ; les Américains eux-mêmes, en élisant plus d’une fois le général Grant comme président, ont montré que l’activité militaire a pu incliner rapidement leur société, essentiellement indus-