L’AMOUR PROPRE
L’étude scientifique des sentiments est difficile. Il y a dans le labyrinthe du cœur humain des détours et des entrecroisements en si grand nombre qu’il y faut errer longtemps avant d’en trouver le fil directeur. Aussi les psychologistes peuvent-ils avouer sans honte qu’à cet égard leur science est encore tout à fait dans l’enfance. Nous avons au sujet des sentiments une foule de notions empiriques dont plusieurs sont vraies et utiles. Mais nous n’avons aucun système fondé sur une analyse méthodique et qui puisse être généralement accepté. Les essais de classification des sentiments se succèdent sans qu’aucun jusqu’ici ait obtenu une autorité un peu étendue. 11 faudra sans doute encore beaucoup d’analyses psychologiques avant qu’un système définitif puisse être obtenu. Une classification ne peut être bonne en effet que si les éléments qu’on classe sont bien connus et bien compris. Or, si je ne me trompe, on trouve encore, au sujet des sentiments les plus ordinaires et les plus puissants, une foule de notions erronées dans les discours de tout le monde, et des confusions d’idées assez étranges ne sont pas rares même sous la plume des théoriciens.
Possédons-nous une explication satisfaisante de l’amour-propre ? Comprenons-nous pourquoi ce sentiment joue dans notre vie à tous un rôle si constant et pourquoi beaucoup d’hommes sacrifient volontiers aux jouissances d’amour-propre presque toutes les autres jouissances ? Il suffit, je crois, de poser la question pour faire voir combien cette matière, si connue qu’elle soit, est encore obscure pour l’analyse scientifique. Sans prétendre l’éclairer entièrement, j’essaye ici d’y jeter un peu de lumière.
Cette étude aura deux parties. Dans la première, qui sera en quelque sorte négative, j’écarterai des confusions d’idées trop fréquentes en distinguant l’amour-propre d’abord de l’amour de soi et ensuite de la haute opinion de soi. Dans la seconde, qui sera positive, j’établirai d’abord que la vanité est un dérivé de l’orgueil, en d’autres
