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de la jouissance ou de la souffrance d’amour-propre, c’est toujours le jugement favorable ou défavorable que nous portons sur nous-mêmes. De là viennent les inégalités dans l’influence que les opinions étrangères exercent sur notre bonheur. Le vaniteux superficiel et vulgaire, celui qui n’a ni la force de se juger lui-même ni la force de juger les autres, peut bien se réjouir banalement d’une louange ou s’affliger banalement d’une critique, de quelque part qu’elle vienne. Mais le vaniteux réfléchi fait des distinctions. Les seules personnes dont les jugements le touchent sont celles qui ont assez d’autorité sur son esprit pour modifier la manière dont il se juge lui-même. On parle d’hommes qui en sont venus à ce point qu’aucun éloge ne peut leur causer de plaisir, si ce n’est ceux d’un certain journal ou d’un certain critique. De là vient aussi que certaines admirations nous attristent au lieu de nous réjouir. Nous souhaitons la désapprobation des gens dont nous méprisons les principes, parce que nous ne pourrions pas monter dans leur estime sans nous sentir descendre immédiatement dans la nôtre. De là vient enfin que nous voulons que notre mémoire nous survive. Nous goûtons dès la vie présente le plaisir de cette réputation posthume. Notre propre valeur grandit à nos yeux quand nous nous représentons qu’on parlera de nous après notre mort. L’idée que le tombeau pourrait faire le silence complet autour de notre nom, nous remplit au contraire du sentiment de notre petitesse.

Je sais bien l’objection qu’on ne manquera pas de faire à cette manière de comprendre la vanité. On dira que nous cherchons à tromper les autres sur notre valeur et que leur approbation nous réjouit quand même nous la savons imméritée. Comment soutenir dès lors, dira-t-on, que l’admiration d’autrui n’est qu’indirectement pour nous une cause de plaisir et que la cause directe de la jouissance d’amour-propre, c’est toujours notre admiration de nous-mêmes ? « Nous ne nous contentons pas, dit Pascal, de la vie que nous avons en nous et en notre propre être ; nous voulons vivre dans l’idée des autres d’une vie imaginaire, et nous nous efforçons pour cela de paraître. Nous travaillons incessamment à embellir et à conserver cet être imaginaire, et nous négligeons le véritable… et nous serions volontiers poltrons pour acquérir la réputation d’être vaillants. » À cette objection très spécieuse, voici ma réponse. Ce n’est pas toujours pour des raisons d’amour-propre que nous désirons l’admiration d’autrui. C’est souvent pour de tout autres raisons. Un homme à qui l’estime du public est nécessaire pour obtenir une place, pour faire fortune, pour être chargé d’une œuvre qu’il aime, peut se séjouir de ce que l’on a de lui une opinion avantageuse alors