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a. naville. — l’amour-propre

même qu’il la saurait imméritée. Il est trop clair ici qu’il éprouvera de la jouissance quand même son opinion de lui-même ne serait nullement modifiée. Mais qu’est-ce que cela prouve contre notre explication de la vanité ? Rien, puisque la jouissance de cet homme n’est pas une jouissance de vanité. Il est vrai d’ailleurs que nous trompons quelquefois les autres par vanité. Mais c’est qu’en les trompant nous nous trompons aussi nous-mêmes. Ce n’est pas pour eux seulement, c’est aussi, c’est surtout pour nous que nous parons notre e être imaginaire. J’ai beau avoir d’excellentes raisons pour penser que je suis poltron ; si je persuade tout le monde que je suis brave, je ne tarderai pas à croire que je le suis en effet. Ou bien, si une illusion aussi directe n’est pas possible l’amour-propre saura du moins me faire trouver dans l’admiration la plus usurpée mille confirmations indirectes de mon mérite. Un grand seigneur fait composer un livre par son secrétaire, puis le publie sous son propre nom et réussit à faire croire qu’il en est l’auteur. Si le public apprécie l’ouvrage, je ne doute pas que l’auteur supposé n’en éprouve une satisfaction de vanité. Mais c’est que, si le livre a été écrit par un secrétaire, le grand seigneur ne pense pourtant pas être sans mérite dans sa composition. N’est-ce pas lui qui a donné le sujet ? N’a-t-il pas fourni au moins quelques renseignements et quelques idées ? Et d’ailleurs, puisque le public consent à le considérer comme l’auteur de ce livre, n’est-ce pas parce qu’on le croit capable d’en composer un pareil, et cela sans doute parce qu’il en est capable en effet ? Supprimez tous les raisonnements subtils par le moyen desquels nous réussissons à trouver une preuve de notre valeur dans l’admiration la moins méritée ; placez un homme de jugement froid en face d’éloges dont il se sent complètement indigne : vous ne verrez se produire chez lui aucun plaisir de vanité.

La vanité est donc un sentiment dérivé. Les jugements d’autrui sur la valeur de notre personne, qui sont les causes apparentes des plaisirs ou des souffrances de vanité, n’intéressent qu’indirectement notre sensibilité. C’est seulement parce qu’ils modifient notre propre jugement sur notre personne qu’ils nous réjouissent ou nous attristent. La cause directe du plaisir ou de la souffrance d’amour-propre, c’est toujours l’opinion que nous avons nous-mêmes de notre valeur. À prendre les mots dans le sens que j’ai indiqué, il faut dire que la vanité est un dérivé de l’orgueil. Et l’orgueil lui-même ? Le plaisir que nous éprouvons quand nous nous admirons, le déplaisir que nous éprouvons quand il ne nous est pas possible de nous admirer, ce sentiment que nous avons appelé l’orgueil et qui, nous venons de