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ANALYSES. — b. erdmann.Kant’s Kritik der Urtheilskraft.

sophique » (Schiller), qui rebuta les Allemands eux-mêmes. Kant demandait un jour à son ami d’enfance le conseiller des finances Wlömer : « Eh ! toi, l’homme d’affaires, as-tu quelquefois eu le désir de lire mes écrits ? » — « Oui, certes. Et je l’aurais fait plus souvent, si les doigts ne me manquaient pas. — Comment cela ? — Oui, votre style est si riche en conditionnelles, en parenthèses, que je ne puis les suivre de l’œil. Alors je place un doigt sur un mot, puis le second le troisième, et avant que j’aie tourné la page tous mes doigts y sont. » En second lieu, concentrant de plus en plus exclusivement l’effort de sa pensée sur l’achèvement du système, Kant livrait à l’impression des copies négligées, sans ponctuation, où les défauts du style se compliquaient souvent de fautes d’écriture de diverse sorte ; il laissait à des amis (Schütz, Reinhold, Beck) le soin de corriger les épreuves ; tout au plus rédigeait-il des tables d’errata pour les fautes qui lui sautaient aux yeux lorsqu’il parcourait les premiers exemplaires.

Pour la Critique du jugement en particulier, M. B. Erdmann montre par des détails empruntés à des lettres inédites de Kant[1] comment il se fit que nul écrit critique n’a d’abord été aussi mal imprimé et corrigé. La première édition de 1790 était même si défectueuse que dès l’automne de 1791, Kant s’occupait d’en préparer une seconde. Celle-ci, qui parut en’1793, décèle la main de l’auteur par des corrections et des additions qui modifient ou précisent le sens ; mais elle trahit aussi le concours d’une main étrangère par des changements d’orthographe, de ponctuation, de style même qui ne s’accordent pas avec les habitudes de Kant. La troisième édition, publiée en 1799, sous les auspices de Kant, et plus soignée encore que la précédente, ne reproduit pas aussi fidèlement le manuscrit original. En somme, toute édition nouvelle doit s’appuyer principalement sur la deuxième édition, sans en être la réimpression littérale. Car rien ne dispense de l’examen attentif des particularités du texte, que l’on ne peut attribuer sûrement à Kant et où l’on doit chercher à discerner ce qui est du fait soit de l’imprimeur, soit des disciples chargés du soin de l’édition.

Tels sont les principes qui ont guidé M. Erdmann dans son travail. Quant à la manière dont il en a poursuivi l’application, ou n’aura qu’à feuilleter, pour en prendre l’idée, la table des changements qu’il a fait subir au texte, table qui forme un supplément d’une cinquantaine de pages.

Il. L’intérêt de cette publication est encore rehaussé par une élégante dissertation de l’éditeur sur l’œuvre de Kant (p. xvii-xxx de l’introduction). M. B. Erdmann s’y est proposé de déterminer la place de la Critique du jugement dans l’ensemble de la doctrine kantienne, et pour cela, fidèle à la méthode historique, il a essayé de suivre la formation de cette partie du système pendant la période critique. On peut ramener à trois les cercles de pensées successivement parcourus par la réflexion du philosophe de 1781 à 1790.

  1. P. xxxviii-xxxix, de l’introduction.