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connaissance, en sorte que chaque grand mouvement du savoir encyclopédique, chaque progrès de la science centrale où il se résume, ajoute à la puissance de l’esprit humain : les philosophes de génie sont dans le grand atelier de la science comme des ouvriers qui inventent des machines et créent des outils. 2o Pour la philosophie elle-même. Les doctrines présentes dérivent par une suite continue d’intermédiaires des doctrines passées ; elles ne sont que ces doctrines même portées à un nouveau degré de développement ; nous ne faisons donc, en retraçant. l’histoire de la philosophie, que prendre conscience des idées organiques fondamentales de la science. Le développement de la philosophie ne s’est pas fait au hasard ce n’est pas un jeu de la nature. Dans le développement des formes intellectuelles comme des formes vivantes, la nature est toujours sérieuse les lois de la pensée se découvrent dans les systèmes primitifs mieux que dans les systèmes contemporains, comme les lois de la vie dans les organismes d’essai, si bizarres qu’ils paraissent maintenant.

En unissant. Ardigò montre par un exemple particulier, par l’histoire de l’idée, le processus de différenciation et de concentration successives qui a régi la formation des concepts philosophiques, il établit que sans la connaissance de ce processus aucune théorie solide de l’idée n’est possible.

A. E.

Benno Erdmann. — Immanuel Kant’s Kkritik der Urtheilskraft. (Nouvelle édition, précédée d’une introduction, lxii-421 p.) Leipzig, 1880.

I. M. Benno Erdmann a entrepris de donner au public philosophique une édition nouvelle et probablement définitive de l’œuvre critique de Kant. Les lecteurs de la Revue savent déjà[1] que dans cette tâche il sait joindre aux pieux scrupules de l’éditeur le plus zélé l’initiative intelligente d’un interprète pénétrant de la doctrine. — En effet, une édition des écrits de Kant présente des difficultés particulières, tenant à la manière dont ils ont été composés. Sans doute, Kant n’avait pas toujours dédaigné les mérites d’un style élégant et pur. On en peut juger par les Remarques sur le sentiment du beau et du sublime, où le travail de la lime est si apparent. En 1770, Mendelssohn reconnaissait à notre philosophe un talent d’écrivain populaire. L’éloge était-il flatteur ? En tout cas, Kant, depuis lors, sembla prendre à tâche de s’en montrer indigne. Tout d’abord, dix ans de méditation silencieuse le déshabituèrent d’écrire. Après cette longue fermentation, ses idées s’échappèrent au dehors en une rédaction hâtive, où l’enchevêtrement des périodes et l’individualité obscure de l’expression expriment synthétiquement la pensée, elle-même très complexe et lentement approfondie. De là cette forme « hérissée », « ce style de chancellerie philo-

  1. Voyez Revue philosophique, No 2, 4e année, p. 208, Les Prolégomènes de Kant.