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ANALYSES. — b. erdmann.Kant’s Kritik der Urtheilskraft.

trouve du plaisir dans la pure réflexion sur la forme d’un objet, quoique son jugement soit empirique et particulier, peut réclamer pour ce plaisir une valeur universelle. Car ce plaisir résulte uniquement de l’accord des facultés de connaître, de l’imagination et de l’entendement, dans la représentation de l’objet, c’est-à-dire encore des conditions générales du jugement. Il est donc nécessaire pour tout sujet qui juge. Et comme l’accord inattendu de l’objet avec la nature du sujet imprime à l’objet un caractère de finalité purement formelle, il est vrai (c’est-à-dire sans représentation de fin), Kant donne le nom de téléologie à cette partie de la philosophie qui se propose de faire la critique du goût.

2o Le jugement est une faculté transcendantale originale, intermédiaire entre l’entendement et la raison pratique. — Ainsi les jugements du goût ont un principe à priori. Mais, en essayant de donner de ce principe une formule cohérente, Kant se trouva nécessairement conduit à reprendre l’analyse du jugement qu’il avait exposée dans la Critique de ta raison pure. Là, le jugement est présenté comme la fonction de l’entendement. Il consiste à ramener la variété représentée dans une intuition à l’unité objective d’un concept. La doctrine transcendantale du jugement n’est que l’analytique des principes de l’entendement pur[1]. — Et cependant le jugement du goût n’a pour fondement aucun concept de l’objet. Il réclame bien l’accord de la faculté des intuitions, l’imagination, et de la faculté des concepts, l’entendement ; mais il résulte de leur libre jeu, de leur harmonie accidentelle, à propos de la représentation d’un objet particulier ; dans l’expérience en général, telle que la déterminent à priori les concepts de l’entendement, il est lié à une forme singulière et contingente de l’expérience ; enfin, s’il a sa règle à priori, c’est une règle subjective qu’il ne peut tirer de l’entendement. Il faut donc élargir la théorie du jugement. Il faut distinguer le jugement déterminant qui soumet le particulier sous une règle générale donnée, et le jugement réfléchissant, qui trouve le général dans le particulier. Mais, pour s’élever au général, celui-ci doit avoir un principe propre ; ce ne sera pas sans doute un principe de détermination des objets, mais un principe de réflexion sur les objets ; ce ne sera pas une loi pour la nature, mais une loi pour la faculté de juger. Or ce principe original, c’est encore la critique du goût qui le suggère. L’objet que le goût approuve concorde avec notre faculté de connaître ; il manifeste une finalité de forme, c’est-à-dire « telle que nous ne pouvons en expliquer la possibilité qu’en lui donnant pour principe une causalité agissant d’après des fins[2]. » Généralisons cette remarque. Elle nous conduit à considérer la nature comme une œuvre belle, analogue aux œuvres de l’art humain, expression sensible d’un entendement supérieur qui nous est caché. Sans doute,

  1. Critique de la raison pure, trad. Barni, t. I, p. 194.
  2. Critique du jugement, trad. Barni, p. 94.