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sont connus par ouï-dire ; lui, il est connu par expérience. Il peut aisément surveiller en personne les gens qui dépendent de lui ; lorsqu’il ne peut punir l’irrévérencieux on le rebelle de manière à frapper tous les yeux, il peut le priver de travail et rendre l’existence de celui-ci tellement difficile qu’il est contraint de se soumettre ou d’émigrer. Jusqu’à nos jours, la conduite des paysans et des fermiers à l’égard du grand propriétaire rural rappelle l’idée de la puissante contrainte qui maintient les populations rurales dans un état de demi-servitude après que les forces gouvernantes primitives ont disparu.

Dans des conditions opposées, on peut s’attendre à des effets opposés, à savoir quand de grands nombres d’individus s’agrègent étroitement. Lors même que ces grands nombres sont formés de groupes subordonnés chacun à un chef de clan ou à des supérieurs féodaux, diverses influences concourent à affaiblir la subordination. Quand il existe dans le même endroit plusieurs supérieurs auxquels leurs subordonnés respectifs doivent obéissance, ces supérieurs se rapetissent mutuellement. Nul d’entre eux n’est aussi imposant du moment qu’on en voit d’autres que lui faire chaque jour montre du même faste.

En outre, lorsque les groupes de subordonnés se trouvent mêlés, leurs chefs ne sauraient faire porter sur eux une surveillance aussi étroite. Cette difficulté qui gène l’exercice de l’autorité favorise la coalition des subordonnés : la conspiration devient plus aisée, et la découverte des complots plus ardue. De plus, jaloux les uns des autres comme dans de telles circonstances seront probablement ces chefs de groupes groupés, chacun d’eux pense à se fortifier individuellement ; pour cela, ils luttent de popularité et cèdent à la tentation de relâcher l’autorité qu’ils font peser sur leurs inférieurs et à accorder leur protection aux inférieurs maltraités par d’autres chefs. Ce qui mine encore davantage leur puissance, c’est l’introduction d’un grand nombre d’étrangers dans l’ensemble social. Comme nous l’avons pressenti plus haut, cette cause, plus que toute autre, favorise la croissance du pouvoir populaire. Plus les immigrants, détachés des divisions, des gens ou des fiefs auxquels ils appartiennent, deviennent nombreux, plus ils affaiblissent la structure des divisions au sein desquelles ils vont vivre. L’organisation sociale qui admet des étrangers ne peut manquer de se relâcher ; enfin leur influence devient un dissolvant pour les organisations ambiantes.

Ceci nous ramène à une vérité sur laquelle on ne saurait trop insister, à savoir que la croissance de la puissance populaire est de toute façon associée aux fonctions commerciales. Ce n’est en effet