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HERBERT SPENCER. — les corps représentatifs

que par les fonctions commerciales qu’un grand nombre de gens peuvent être amenés à vivre en contact étroit les uns avec les autres. Des nécessités matérielles tiennent la population rurale dispersée, tandis que des nécessités matérielles poussent à se rassembler ceux qui s’occupent de commerce. L’expérience des divers pays et des diverses époques montre que les réunions périodiques pour l’accomplissement de rites religieux, ou pour d’autres fins d’intérêt public, fournissent des occasions d’achats et de ventes, dont on tire habituellement parti. Ce rapport entre la réunion d’un grand nombre de gens et l’échange des produits, qui dans le principe n’existe que par intervalles, devient permanent lorsque ces gens demeurent réunis d’une manière permanente, c’est-à-dire lorsqu’une ville grandit dans le voisinage d’un temple, ou autour d’un point fortifié, ou dans un endroit où des circonstances locales favorisent quelque industrie.

Le développement de l’industrie vient encore en aide à l’émancipation du peuple en faisant naître un ordre d’individus dont la puissance, issue de leur richesse, rivalise avec celle de ceux qui étaient auparavant les seuls riches, les hommes de la noblesse, et dans quelques cas la dépasse. En même temps que cela produit un conflit qui diminue l’influence auparavant exercée par les chefs patriarcaux ou féodaux seuls, il en résulte aussi une forme plus adoucie de subordination. Le riche commerçant sort d’ordinaire dans les premiers temps de la classe non privilégiée ; aussi le rapport qui l’unit à ses subordonnés ne comporte pas l’idée de l’assujettissement de la personne. Dans la mesure où l’activité industrielle devient prédominante, la relation d’employant à employé devient familière, relation qui diffère de celle de maitre à esclave ou de seigneur à vassal en ce qu’elle ne renferme pas l’idée d’allégeance. Dans les conditions primitives, l’idée d’une vie individuelle indépendante, d’une vie qui ne reçoit pas la protection d’un chef de clan ou d’un seigneur féodal, et qui n’est pas tenue à son obédience, n’existe pas. Mais dans les populations urbaines, composées en grande partie de réfugiés, qui deviennent de petits commerçants ou des employés de grands commerçants, l’expérience d’une vie indépendante est chose commune, et on s’en fait une idée nette.

Enfin la forme de coopération distinctive de l’état industriel, qui prend naissance de la sorte, favorise les sentiments et les idées appropriés au pouvoir populaire. Il y a chaque jour une balance de prétentions ; la conception de l’équité devient de génération en génération plus claire. La relation entre employeur et employé, entre acheteur et vendeur, ne saurait se maintenir qu’à la condition