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de manière à écarter la question d’idéalisme : remarquez en particulier la distinction entre l’intuition sensible et l’intuition intellectuelle, et le passage où Kant déclare que les phénomènes des choses ne doivent pas être considérés comme de simples apparences. La « remarque générale sur le système des principes » vise le même but. Le chapitre sur les phénomènes et les noumènes renferme une correction importante : « La division des objets en phénomènes et noumènes, et du monde en monde sensible et monde intelligible, disait la première édition, ne saurait aucunement être admise ; » Kant ajoute « dans le sens positif ». Donc un monde intelligible au sens négatif, le monde des choses en soi, est directement reconnu. La distinction entre penser (denken) et connaître (erkennen) est aussi précisée davantage et étendue aux choses en soi. Penser se dit de toute représentation qui ne renferme point de contradiction en soi : connaître ne peut se dire que d’un objet dont la possibilité réelle ou la réalité objective est mise en évidence. L’incognoscibilité nécessaire des choses en soi et la nécessité de les penser vont ici de pair, comme dans la deuxième préface. Ce penser qui nous mène aux choses elles-mêmes est du reste un penser à priori, par le moyen des catégories, « en tant que celles-ci ont un champ illimité » (trad. Barni, tome I, p.490, note). L’argument employé pour prouver l’existence des choses est du reste toujours le même : c’est une conclusion naïvement tirée de la réalité du phénomène.

La Réfutation de l’idéalisme nous montre Kant emprisonné dans ses idées premières, pris au piège de la Grenzbestimmung critique, impuissant à sortir du réseau de représentations et d’intuitions soumises à des formes et à des concepts, pour montrer du doigt la chose en soi. La première édition contenait cet aveu : il se pourrait que « toutes nos perceptions dites extérieures ne fussent qu’un simple jeu de notre sens interne ». Mais plus loin Kant se prononçait clairement (4e paral. trad. Barni., vol. II, p. 450) : « Par idéaliste, on doit entendre non pas celui qui nie l’existence des objets extérieurs des sens, mais celui qui ne veut pas accorder que cette existence nous est connue par une perception immédiate, et qui conclut de là que nous sommes dans l’impossibilité d’être jamais assurés complètement de leur réalité par aucune expérience. » C’était écarter le problème de l’existence des choses en soi, et en effet la question ne se posait pas pour Kant à cette époque.

À l’heure actuelle, la question est posée, et Kant se voit forcé de la résoudre. De là sa Réfutation. La réalité des phénomènes extérieurs, dit-il, est aussi certaine que la réalité de notre propre existence, attendu que la détermination de notre existence interne selon l’ordre successif du temps n’est possible que par une chose permanente distincte du moi, et non point par la simple représentation d’une chose en dehors de moi. Des choses en soi existent aussi nécessairement que le moi empirique et que le moi en soi. — Cette démonstration, dit B, Erdmann, interprétée du point de vue critique, renferme une