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ANALYSES. — BENNO ERDMANN. Kant's Kriticismus.

visible contradiction ; elle fait manifestement un usage transcendant des catégories de la réalité, de l’existence, de la substance, et médiatement de la causalité. De plus, elle n’atteint pas son but : en partant de l’existence du moi empirique, Kant pourrait simplement conclure que la détermination du moi dans le temps suppose quelque chose de permanent, qui ne peut pas se rencontrer dans le moi empirique. Ce permanent est-il dans le moi transcendantal ou dans l’objet transcendantal ? Kant ne peut le décider.

D’où vient maintenant que la nouvelle démonstration fasse choix, pour réfuter l’idéalisme, du concept de permanence ? La raison en est que Kant veut répondre en même temps à la polémique d’Ulrich. C’est en effet sur le concept de permanence qu’Ulrich s’était appuyé pour dire qu’en dehors des phénomènes nous devons encore admettre des noumènes comme causes de ceux-ci ; et il en tirait cette conséquence : les noumènes peuvent aussi être connus. Kant pare le coup dans sa Réfutation : on peut bien démontrer qu’il doit exister dés choses en soi, il l’accorde et le prouve par l’exemple ; mais celles-ci restent absolument inconnaissables pour nous. C’est la polémique d’Ulrich qui lui a suggéré l’idée de cette nouvelle réfutation, et il continue à ne point voir, tant il était dès l’origine éloigné de tout doute sur ce sujet, qu’en reconnaissant là un problème il aboutit fatalement à une contradiction avec ses propres principes.

En somme, point de preuve démonstrative de l’existence des choses en soi ; et malgré cela la réalité de ces choses est maintenant mise sur le même rang que la limitation critique du savoir à l’expérience possible. Il y a plus. Dans la nouvelle préface, Kant indique un moyen de déterminer avec des data pratiques le concept transcendant de la chose en soi. La raison spéculative établit simplement la possibilité logique de l’objet transcendantal et de la liberté transcendantale : la raison pratique, complément nécessaire de l’autre, en fait voir la possibilité réelle. Les principes rationnels pratiques, comme data à priori, voilà le « quelque chose de plus » qui transforme la possibilité logique en possibilité réelle. C’est la raison pratique qui donne aux fondements de la théorétique leur valeur objective. Evidemment, la définition de la possibilité réelle d’après la première édition, ou l’accord avec les conditions formelles de l’expérience tant concepts qu’intuitions, n’autorisait à prévoir aucune extension semblable. L’idée est nouvelle, elle dépasse les Fondements de la métaphysique des mœurs ; peut être est-elle apparue à Kant au moment même où il achevait sa deuxième édition, comme un moyen d’écarter plus complètement encore le reproche d’idéalisme. Selon toute vraisemblance, Kant n’était point satisfait de sa démonstration théorétique : quelques années plus tard, on le voit en effet soumettre à son élève Kiesewetter une nouvelle réfutation de l’idéalisme problématique (voy. Œuvres de Kant, éd. Hartenstein, tome IV, p. 502), D’autre part, il est à croire que pendant le remaniement de la seconde édition Kant se sera trouvé au fort de ses travaux éthiques : en juin