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ANALYSES. — TISSOT. Philosophie naturelle.

J’ai résumé et critiqué les hypothèses primordiales de M. Tissot ; je passe aux conclusions finales qu’il en ire pour la destinée de l’univers.

Convaincu d’abord de l’éternité et de la stabilité, au moins relative, de l’ordre de choses actuel, il s’est rallié aux doctrines les plus en faveur aujourd’hui ; mais il présente le caractère de l’évolution de notre monde sous une forme essentiellement différente de celle que l’on est habitué à concevoir.

S’il est d’accord avec Herbert Spencer pour reconnaître la loi de l’instabilité de l’homogène, et par conséquent la périodicité des intégrations et désintégrations successives, ses théories le conduisent à réduire à des durées relativement très courtes les parties de ces périodes qui correspondent à la constitution et à la destruction de chaque système cosmique (an soleil et ses planètes). La nébuleuse n’est nullement un astre qui se forme ; c’est de la matière dont le groupement n’a jamais pu acquérir des conditions de stabilité suffisantes et qui se dissipe plus ou moins lentement. Chaque astre est le siège d’un flux centripète d’éther, en sorte qu’au lieu de se refroidir il s’échauffe progressivement. À la fin, il éclatera brusquement, par suite de la trop grande condensation de la matière qui ne laissera plus de jeu au mouvement indestructible. La désorganisation sera complète, mais ne portant que sur les groupements de la matière pondérable ; et celle-ci aussitôt, sous l’action du milieu éthéré, se précipitera vers de nouveaux groupements, semblables à ceux de l’ordre actuel, qui seuls offrent des conditions de stabilité convenables. De nouveaux astres renaitront donc immédiatement et recommenceront à graviter et à rayonner entre eux.

Je ne discuterai point par le détail si ces conclusions sont absolument nécessaires d’après les hypothèses fondamentales ; la déduction, comme celles de toutes les théories scientifiques qui nous prédisent la fin du monde, n’est en tout cas valable qu’en supposant l’univers fini. M. Tissot, qui le considère comme infini, croit néanmoins pouvoir imiter Clausius en posant l’équation générale entre les différentes sortes de forces vives qui existent dans cet univers. Quoi qu’il en dise, c’est un abus évident des mathématiques. Ces sciences fixent, pour l’emploi de la notion de l’infini, des règles précises, qui ici ne sont pas observées.

Le principe de la conservation des forces vives ne signifie aucunement que la force vive de l’univers est une quantité constante ; une pareille formule est absolument vide de sens, car l’univers peut être infini, et dès lors, dans chacune de ses parties, la force vive peut varier indéfiniment. Or il s’agit précisément de savoir si pour une partie déterminée, notre monde solaire par exemple, il y a gain, perte ou équilibre, soit pour la force vive en général, soit pour telle force vive particulière (comme celle qui correspond au calorique), nécessaire à la conservation de l’ordre actuel. Si l’univers est infini, il est certain qu’aucun raisonnement à priori ne peut décider la question, et on ne peut faire appel qu’à l’expérience.