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l’intelligible, car ce serait violer ce dernier dans un symbole ayant avec lui le rapport de l’effet à sa cause et à sa raison d’être.

Telle est la méthode de ceux qui associent le néoplatonisme au néokantisme. Il ne nous semble pas que cette méthode puisse se concilier avec le vrai kantisme. Si la vie a une raison d’être et une cause dans l’intelligible (ce qui n’est pas prouvé d’ailleurs), nous ne pouvons du moins, de l’aveu de Kant, connaître cette raison ; nous ne pouvons donc savoir si c’est une raison de bien ou de mal, bonne ou mauvaise, qui produit la vie matérielle, si par exemple ce n’est pas une chute et une déchéance de l’intelligible qui a produit le sensible, si bien que l’existence sensible serait un mal radical. Nous ne pouvons non plus savoir si cette existence est réellement le libre effet de la « liberté intelligible » ; si elle n’est pas au contraire l’effet d’une cause étrangère à notre liberté, d’une lutte et d’une limitation mutuelle des libertés par exemple, en un mot si elle n’est pas une nécessité extérieure ayant une cause quelconque à nous inconnue. Les métaphysiciens se sont représenté de mille manières le rapport du phénomène à la substance éternelle, et, si certaines de leurs hypothèses aboutissent au respect de la vie phénoménale, la plupart aboutissent au dédain de cette même vie. En supposant que la liberté intelligible soit respectable, la faute volontaire par laquelle elle serait tombée dans la vie sensible ne l’est pas, le malheur involontaire par lequel elle y aurait été précipitée ne l’est pas davantage. Aussi voyons-nous Schopenhauer et M. de Hartmann tirer des principes kantiens le mépris et non le respect de la vie présente.

En admettant même que l’intelligible communique un caractère respectable à ses symboles sensibles, ce caractère devra s’étendre à tout, sans distinction, et tous nos actes se vaudront. — Il faut, disent les néo-kantiens, qu’ils soient les « phénomènes du noumène » ; mais ils le sont toujours, et il n’est rien qui ne soit l’apparition, le symbole du noumène. Si je vous frappe, si je vous maltraite, si je vous caresse, si je vous cause du plaisir, tout cela est le phénomène de l’insondable noumène ; ce dernier se manifeste par tout ce qui est manifestation sensible, par la douleur comme par le plaisir, par la mort comme par la vie. Tous les « caractères empiriques », avec leur déterminisme intérieur, sont également les effets des « caractères intelligibles », et nous ne pouvons établir une hiérarchie entre ces derniers, que nous ne connaissons pas. De plus, on ne voit pas pourquoi tous les caractères intelligibles ne seraient pas bons. Il ne nous reste donc toujours que le plaisir et la douleur comme critérium fondamental du bien, et l’universalité comme critérium