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HERBERT SPENCER. — la société militaire

celles où, grâce au despotisme, l’action corporative devient le plus complète.

Cela suppose un régime de centralisation. Le caractère que l’organisation d’une armée nous a fait parfaitement connaître, à savoir que, sous les ordres d’un général en chef, des chefs secondaires commandent à de grandes masses, et sous ceux-ci des commandants tertiaires ont sous leurs ordres des forces moins grandes, et ainsi de suite jusqu’aux dernières subdivisions, ce caractère doit être celui de l’organisation sociale dans son ensemble. Une société militante doit avoir une structure régulative de ce genre, car sans cela son action corporative ne saurait être le plus efficace. Faute de cette hiérarchie de centres gouvernants répandus partout dans la masse des non-combattants aussi bien que dans celle des combattants, il ne serait pas possible de mettre promptement en mouvement les forces entières de l’agrégat. À moins que les travailleurs ne soient soumis à une autorité analogue à celle qui pèse sur les combattants, on ne peut compter sur leur aide indirecte dans toute son étendue et avec la promptitude voulue.

Telle est la forme d’une société caractérisée par un état légal des personnes, d’une société dont les membres sont les uns à l’égard des autres distribués en grades hiérarchisés. Depuis le despote jusqu’à l’esclave, chacun est le maitre de ceux qui sont au-dessous de lui, et le sujet de ceux qui sont au-dessus. La relation de l’enfant au père, du père envers un supérieur, et ainsi de suite, jusqu’au chef absolu, est une relation d’après laquelle l’individu de l’état légal inférieur est à la merci d’un individu d’un état légal supérieur.

En d’autres termes, l’opération de l’organisation militaire est une enrégimentation, qui s’effectue d’abord dans l’armée et plus tard s’étend à toute la société.

La première preuve que nous en trouvions, c’est le fait, partout visible, que le chef militaire devient un chef civil, le plus souvent du même coup, et, dans quelques cas exceptionnels, à la fin, si le militarisme persiste. Il commence par être un général à la guerre et devient un souverain en temps de paix ; et la politique régulative qu’il poursuit dans l’une des deux sphères, il la poursuit aussi, autant que les conditions le permettent, dans l’autre. Puisque la partie non combattante est en fait une intendance permanente, le principe de la subordination hiérarchique s’y étend aussi. Ses membres sont soumis à une direction analogue à celle que subissent les guerriers, non pas à la lettre, puisque la dispersion des uns et la concentration des autres n’autorisent pas une analogie rigoureuse, mais nonobstant semblable par le principe sur lequel elle repose. Le