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ANALYSES ET COMPTES RENDUS


Bertrand (Alexis). L’aperception du corps humain par la conscience. In-8o, Paris, Germer Baillière, 1881.

Que de différences profondes, mais aussi que de liens étroits entre l'âme et le corps ! Tout l’effort de la philosophie spiritualiste depuis Descartes, sans excepter Locke et Condillac, semble avoir été de rompre ces liens et de les faire étrangers l’un à l’autre. Le dernier mot de ce spiritualisme abstrait, comme déjà depuis longtemps nous l’avons qualifié, est de Jouffroy ; la vie a-t-il dit, notre propre vie, nous est, dit-il, tout aussi étrangère que celle d’un chien ou d’un poisson[1]. Combien faut-il que l’attention d’un psychologue de si grand mérite ait été absorbée par les idées pures, par les faits intellectuels, pour qu’il n’ait rien saisi au dedans de lui ni du corps ni de la vie ! Contre cette observation incomplète de ce qui se passe dans Pâme et de ce qui arrive, on n’arrive pas à la conscience, les protestations n’ont pas tardé à se produire, même de la part des psychologues les plus spiritualistes.

La puissance vitale a été restituée à l’âme ; le sentiment de la vie a repris sa place à la base même de la conscience, En avant, pour ainsi dire, des autres sens qui ont pour objet le dehors, un autre sens à été ajouté, ou plutôt rétabli, le sens vital, le premier et le dernier de tous en exercice, qui perçoit le dedans du corps, les organes et les fonctions de la vie.

Le mérite de M. Bertrand n’est pas d’être entré le premier dans cette voie, mais d’y être allé plus avant à l’aide des travaux de ceux qui l’avaient précédé et en s’appuyant sur la psychologie profonde de Maine de Biran. L’aperception du corps humain par la conscience, tel est le titre hardi et paradoxal de l’ouvrage dont nous rendons compte, et telle est la thèse qu’il a soutenue en Sorbonne de la manière la plus brillante. Le corps aperçu par la conscience ! Ce titre, disons-le tout d’abord, nous choque et nous paraît étrange. Il y a là, à côté d’une vérité, une confusion dans laquelle il nous semble que l’auteur est plus d’une fois tombé, faute d’une distinction suffisamment nette et pré-

  1. Mémoire sur la légitimité de la distinction de la physiologie et de la psychologie.