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sur le travail. Un quart des jours ouvriers revenait à titre de corvées au roi et au seigneur féodal. Toute liberté octroyée se payait et se repayait ; les privilèges municipaux des villes leur furent sept fois en vingt-huit ans retirés et revendus. Le roi fixait à son gré la durée du service militaire auquel les nobles et le peuple étaient tenus ; on dressait les recrues au service à coups de fouet. Au moment même où l’assujettissement de l’individu à l’État allait si loin par suite d’exactions fiscales et de services imposés que le peuple ruiné coupait le blé en vert, mangeait de l’herbe et mourait de faim par millions, l’État faisait peu de chose pour protéger les personnes et les biens. Les auteurs contemporains s’étendent sur le brigandage, les vols, les effractions, les assassinats, les tortures infligées aux gens pour leur faire révéler où ils cachaient leur pécule ; des bandes de vagabonds rôdaient çà et là, rançonnant le peuple, et lorsque, pour remédier à ce mal, l’autorité édictait des peines, on voyait mettre en prison sans preuve des innocents accusés de vagabondage. Il n’y avait aucune sécurité personnelle pas plus contre un ennemi puissant que contre le chef. À Paris, il y avait bien trente prisons où l’on pouvait enfermer des gens qui n’avaient point passé en jugement et qu’aucune sentence ne frappait. Le « brigandage de la justice » coûtait chaque année aux plaideurs de quarante à soixante millions. Si l’État, qui poussait si loin ses attaques contre les citoyens, les protégeait si mal les uns contre les autres, il ne laissait pas de réglementer leur vie et leurs travaux. Il imposait la religion à ce point qu’il mettait les protestants en prison, les mettait aux galères, les faisait fouetter et envoyait leurs ministres au gibet. Il prescrivait la quantité de sel que chaque personne devait consommer et frappait cette denrée d’un lourd impôt ; il dictait aussi la façon de se servir de cette denrée. Tous les genres d’industrie étaient soumis à une surveillance. On frappait de prohibition certaines récoltes : on détruisait le vin récolté sur des terrains censés impropres à la culture de la vigne. On ne pouvait acheter au marché plus de deux boisseaux de blé ; et les ventes se faisaient sous les yeux des dragons. On réglementait les méthodes et les produits des manufacturiers à ce point que l’on détruisait les outils perfectionnés et leurs produits quand ils n’étaient pas fabriqués conformément à la loi ; en outre, on infligeait des peines aux inventeurs. Les règlements se succédaient si rapidement que leur grand nombre ne permettait plus aux agents de les appliquer ; la multiplication des ordres de l’autorité multiplia les essaims de fonctionnaires publics. En Angleterre, au contraire, à la même époque, nous voyons que, avec le progrès vers le type industriel parvenu à ce point que la puissance prépondérante appartenait à la Chambre des