Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 14.djvu/11

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
7
C. VIGUIER. — le sens de l’orientation

On peut dire que, normalement, l’animal transporté en faisant un détour, ou en parcourant les deux côtés d’un triangle, revient toujours en ligne droite, autant du moins que le terrain le permet. Le seul fait contraire se trouve cité dans une lettre adressée à The Nature[1] ; encore faut-il remarquer que, si le chien parcourut à nouveau pour revenir chez lui les deux côtés d’un triangle, la route directe traversait, de l’aveu même de l’auteur de la note, un pays accidenté. Ce cas lui-même ne saurait donc guère être invoqué comme probant ; et la règle se trouve bien établie par tous les autres.

Ceux-ci sont trop nombreux pour que les limites de ce travail me permettent de les rapporter ici ; mais il est bien évident, par exemple, que le chien emmené par l’archiduchesse Marie Régnier, de Menton à Vienne, n’est point revenu à pattes à Menton, en reconnaissant soit par la vue, soit par l’odorat, la route une seule fois parcourue en chemin de fer, et pendant laquelle il avait sans doute dormi une partie du temps[2]. Et l’âne du capitaine Dundas[3], transporté par mer de Gibraltar au cap de Gata, n’a pu revenir par terre à Gibraltar (voyage de plus de 300 kilomètres par un pays fort accidenté) en se guidant par des sensations de ce genre.

Aussi M. Robertson avoue-t-il de bonne grâce[4] que ces faits sont inexplicables par sa théorie ; et M. Wallace lui-même est-il forcé d’en convenir. « Plusieurs de mes adversaires, dit-il, parlent comme si j’avais soutenu que, dans tous les cas, les chiens et autres animaux, trouvent leur route uniquement ou même principalement, à l’aide de l’odorat ; tandis que je me suis strictement limité aux cas où ils ne pouvaient mettre en jeu leurs autres sens. » M. Wallace avouant ainsi que sa théorie ne saurait s’appliquer à tous les cas, il s’ensuit nécessairement, comme l’a dit M. Romanes[5], que, même si elle se trouvait vraie dans quelques-uns de ces cas, bien que le fait pût présenter, ainsi que je le faisais remarquer plus haut, un intérêt psychologique considérable, il laisserait la question du sens de direction exactement au même point. « Il faut observer, ajoutait M. Romanes, maintenant que la discussion sur la question d’instinct paraît être arrivée à son terme, que son seul résultat a été de fortifier la croyance généralement existante en quelque faculté inexpliquée, que l’on peut appeler provisoirement un sens de direction. »

  1. 22 mai 1873.
  2. Nature, 1er mai 1873.
  3. Kirby et Spence, Introd. to Entomology, 7e édit., 1856, p. 552, cité par Ch. Bastian, op. cit., vol. I, p. 168.
  4. Nature, 27 mars 1873.
  5. Nature, 7 août 1873.