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C’est bien en effet la vraie conclusion de ce tournoi scientifique auquel ont pris part tant d’écrivains de compétence si diverse ; et je ne comprends guère que l’on ait soutenu avec autant de passion des hypothèses qui laissaient inexpliquée une classe de faits tout à fait connexes, et d’un intérêt encore plus grand : je veux parler des migrations accomplies par des animaux fort divers, et surtout par des oiseaux, Il me reste donc, avant d’exposer en détail la théorie que je propose, à résumer brièvement ce qu’ont avancé sur le sujet les divers auteurs qui se sont occupés des migrations.

Dans une note insérée dans The Nature du 8 octobre 1874, M. Wallace a examiné quelles peuvent avoir été les premières causes des migrations des oiseaux. Sans doute les ancêtres des oiseaux migrateurs actuels, et l’on peut en dire autant des autres animaux migrateurs, trouvaient des conditions d’existence suffisantes durant toute l’année, à l’endroit où la ponte se faisait le plus favorablement (comme chez les oiseaux sédentaires de nos jours). Peu à peu, les conditions variant, les animaux se seront éloignés durant une partie de l’année, pour chercher leur subsistance, de l’endroit où ils revenaient à la saison des amours. C’est ainsi qu’ils auront appris la route de leurs voyages annuels.

Cette explication est d’autant plus vraisemblable, que l’on trouve toutes les transitions entre les oiseaux absolument sédentaires et ceux dont les voyages sont les plus lointains. Si l’alouette ne va guère que d’un département à l’autre, d’autres, comme le rougegorge ou la grive, vont passer l’hiver en Andalousie, en Portugal, à Naples, dans les iles de l’Archipel, de l’Adriatique ou de la Méditerranée. Les bisets et les palombes traversent la mer, mais s’arrêtent à l’Atlas, que franchissent les râles, les bécasses et les tourterelles. Enfin « la caille quitte au mois d’août les rivages du cap Nord et de la mer d’Arkangelsk et s’avance dans l’hémisphère austral, jusqu’aux derniers confins de la mer du Midi, jusqu’au cap de Bonne-Espérance, à 2 ou 3,000 kilomètres par delà l’équateur[1]. »

Que les oiseaux soient, dans ces voyages immenses, dirigés par l’odorat ou par l’observation inconsciente des localités, c’est ce que les partisans les plus déterminés de ces théories n’ont osé prétendre. Une chose devient évidente, lorsqu’il s’agit de voyages pareils : c’est que l’animal doit être dirigé par une notion excessivement simple. Quelle peut être sa nature ? Toussenel, dont je citais tout à l’heure quelques lignes, a son opinion là-dessus : « L’oiseau de France sait d’une façon positive que le nord souffle

  1. Toussenel, Ornithologie passionnelle, p. 96.