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nous dit seulement que Locke, après une opération difficile qu’il avait faite au comte, embarrassé de savoir s’il devait ou non retirer un tube d’argent placé dans la plaie, « adressa une lettre aux plus célèbres médecins du temps, à sir George Ent, aux docteurs Francis Glisson, Micklewaite et Timothy Clarke, enfin à un éminent médecin étranger, l’abbé de Briolay de Beaupréau, d’Angers[1], pour leur demander leur avis. » Il n’est pas à croire que Glisson, qui était ou avait été longtemps le médecin ordinaire de Shaftesbury, et qui, cinq ans plus tard, lui dédie encore son ouvrage, n’ait été consulté qu’accidentellement, comme les autres célébrités de l’époque. J’imagine plutôt que, vieillissant, comblé d’honneurs et accablé d’occupations, comme il arrive aux médecins en renom, hors d’état de donner à son malade les soins de chaque instant qu’exigeait son état, il avait accepté, sinon demandé lui-même, l’aide d’un jeune médecin, à demeure dans la maison. Mais nous sommes réduits à des conjectures, sur les rapports de nos deux philosophes, esprits d’ailleurs différents, sil en fut.

Le Traité de l’estomac et des intestins[2] parut en 1677, et Glisson mourut cette même année. Dans cet ouvrage, « plein, dit Haller, des pensées les plus remarquables, » apparaît pour la première fois la théorie de l’irritabilité, aujourd’hui fondamentale en physiologie. C’est là pour Glisson un titre de gloire scientifique bien supérieur encore à sa description du foie. Insistons un peu sur cette découverte, qui, de son propre aveu, procède à la fois de ses vues métaphysiques et y conduit. On peut sur ce point s’en rapporter au témoignage de Haller, qui, avec Bichat, fit plus que personne pour élaborer cette théorie et la faire passer dans la science. « Homme de profonde méditation, Glisson, dit-il, eut trop peu d’occasions de disséquer, mais mit soigneusement à profit celles qu’il avait : un peu prompt toutefois aux hypothèses… Il sut quitter les chemins battus, joindre le raisonnement à l’observation… Le premier de tous il a bien vu la nature de la fibre ; et personne avant lui n’eut une plus juste idée de l’irritabilité, qu’il a même attribuée avec un peu trop de libéralité à presque toutes les parties du corps, y compris les fluides. Le premier, il a expliqué par l’irritation les mouvements du

  1. C’est par les relations de cet abbé médecin avec les savants anglais qu’on s’explique l’introduction du traité métaphysique de Glisson à Angers. La bibliothèque de cette ville possédait deux exemplaires de ce traité introuvable ; celui qui est maintenant à l’École normale en provient par voie d’échange.
  2. Tractat. de ventriculo et intestinis, cui prœmitlitur alius de partibus continentibus in genere, et in specie iis abdominis, Lond., 1677, in-4o ; Amstelod., 1677, in-12.