Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 14.djvu/131

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
127
H. MARION. — françois glisson

cœur ; il a bien marqué les degrés de l’irritabilité et l’a dûment distinguée de la perception. Le nom même d’irritabilité est de son invention. » Ce point n’est contesté par aucun historien[1].

Haller définit l’irritabilité « le pouvoir inhérent à la fibre de se contracter sous l’action d’un stimulant » ; il la réduit à la contractilité et l’attribue au seul tissu musculaire. Mais c’est une propriété générale, commune à tous les éléments anatomiques : chaque tissu, Bichat l’a montré, réagit à l’action des stimulants, d’une façon qui lui est propre. La fonction de la fibre est partout de se contracter, de quelque manière qu’on l’excite ; celle des glandes est de sécréter. Cette propriété qu’ont tous les éléments organiques, de réagir selon leur nature, voilà l’irritabilité. Les liquides mêmes, s’ils ne sont pas irritables, à parler rigoureusement, c’est-à-dire dans leurs parties aqueuses, contiennent des éléments irritables : tels sont, par exemple, les globules blancs du sang, dont les mouvements amébiens[2] marquent un haut degré de spontanéité vitale. Il ne faut donc pas faire un si grand reproche à Glisson d’avoir étendu l’irritabilité à toutes les parties du corps. Si Haller, en mettant hors de doute l’irritabilité de la fibre, a eu le mérite de réduire en vérité positive une hypothèse, l’hypothèse n’en avait pas moins une portée et une valeur générale qu’il n’a pas vues.

Dès 1654, Glisson l’entrevit, soit que l’observation anatomique l’y ait seule conduit, soit plutôt qu’il portât déjà en lui sa conception métaphysique de la vie et-de la pensée inséparables, partout répandues. C’est sous les traits du plus naïf anthropomorphisme que sa théorie apparaît pour la première fois dans l’Anatomie du foie[3]. Il

  1. « Lorsqu’on analyse la théorie proposée par Glisson, dit le Dr Castel, on est étonné de ce que, avant la fin du xviie siècle, il a pu s’élever à de si hautes conceptions. »
  2. Mouvements par lesquels les globules changent spontanément leur forme, se renflent d’un côté ou d’un autre, déplacent d’eux-mêmes leur centre de gravité, s’allongent pour passer dans les vaisseaux capillaires, etc.
  3. Quelques savants verront là une raison suffisante de refuser toute valeur à sa découverte. Ainsi M. Dastre, dans sa très bienveillante étude sur notre travail latin, Glissonius (Revue scientifique, 5 juin 1880), s’exprime ainsi : « En physiologie, où toutes les hypothèses ont été faites, le mérite est bien moins d’en produire une nouvelle, plus ou moins ingénieuse, que de saisir et de juger par l’expérience la réalité de ces vues de l’esprit. L’auteur d’une vérité est celui qui l’établit. Avec Glisson, nous restons dans le domaine des idées, c’est-à-dire hors de la science… Il est en possession d’une idée juste, mais mal acquise. » Mais ne peut-on trouver là, au contraire, une nouvelle occasion de constater la parenté de la métaphysique et de la science, la fécondité des hypothèses nées de la pure spéculation ? Nous n’avons pas plus de goût que M. Dastre pour l’a peu près et l’à priori dans les sciences positives ; mais, de son côté, assurément, l’éminent disciple de Cl. Bernard ne saurait croire à l’absolue vanité des idées, à l’inutilité radicale de l’hypothèse.