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attacher un prix particulier à ce qui venait de lui. Seulement l’abbé Molan était son ami, et Loccum n’est qu’à quelques milles de Hanovre. Faut-il croire que, dans un commerce intime de tant d’années, habitués à mettre en commun leurs réflexions et leurs lectures, les deux amis ne se sont jamais entretenus de Glisson ? qu’un d’eux l’a découvert sans le faire connaître à l’autre ? Le plus probable n’est-il pas que Molan avait connu son livre par Leibnitz, et peut-être l’avait reçu de lui ?

II

Prenons maintenant le Traité en lui-même ; cherchons à dégager, selon une expression de Leibnitz, de la paille des termes le grain des idées : les rapprochements se feront d’eux-mêmes.

La forme et la méthode, malgré les apparences, ne devaient pas déplaire à l’auteur de la Théodicée. Glisson se perd dans les subdivisions, se complaît dans les tours et les détours, et, à force de vouloir tout prouver, tombe, de son propre aveu, dans une complication infinie, prolixas et intricatas speculationes : sa manière en cela fait contraste avec celle de Leibnitz, si bref, si pressé, si dédaigneux de l’appareil scolastique. Mais l’abus du syllogisme n’était pas pour rebuter celui qui « avait passé pour un prodige parmi les jeunes gens de son âge, pour la manière dont il s’était assimilé tout seul la théologie et la philosophie de l’école. » Ils sont obscurs différemment mais le plus obscur des deux n’est peut-être pas Glisson. L’un accumule les arguments, l’autre s’en dispense ; mais la méthode au fond est la même : c’est la déduction de part et d’autre, bien que tous deux se flattent d’avoir pour eux l’expérience. On sait assez que Leibnitz rêvait une caractéristique universelle, sorte de notation algébrique appliquée aux idées. Glisson, Anglais et médecin, vante la méthode baconienne, mais ne la suit point. Il observe très peu et raisonne à outrance, exemple remarquable de l’embarras où se trouvent, par la force des choses, les esprits les plus vigoureux, dans certains âges de transition. En vain il résume en bons termes la méthode du Novum organum et s’écrie : « Qui cherche un moyen sûr de trouver la vérité n’a qu’à prendre pour guide l’illustre Bacon, il ne risquera pas de s’égarer ; » la révolution n’est encore faite que dans les mots, non dans les mœurs philosophiques : il porte la marque indélébile de l’école ; son vrai maître est Suarez. — Par d’autres traits encore, sa grande érudition, son respect des anciens et de