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est la substance même du vivant, car le vivant alors, c’est l’âme : « sujet original et source de la vie, elle a la vie en propre ; la vie est son essence, » Quant aux animaux, leurs âmes ne sont pas des substances capables de communiquer la vie, mais de simples « modes de la matière ; » elles supposent donc un sujet antérieur à elles, qu’elles modifient : « C’est la matière elle-même qui est ce dernier ou premier sujet de la vie matérielle… la matière a donc la vie pour intime et inséparable essence, contient en elle la racine de la vie ; car comment la vie serait-elle modifiée là où elle ne serait point[1] ? » La vie diffère chez les divers animaux ; elle est autre chez les animaux que chez les plantes : mais partout la matière est le sujet vivant. La matière vit par soi, d’une vie qui varie avec l’organisation, mais qui n’est pas pour cela une vie d’emprunt. « Si la vie originelle de la matière ne préexistait à toutes les modifications organiques, ces modifications ne produiraient jamais une ombre de vie[2]. »

C’est une idée favorite de Glisson que l’organisation, loin d’expliquer la vie, la présuppose et en résulte. « Les mouvements par lesquels un corps prend la forme propre à son espèce révèlent d’une manière évidente la vie intime de la nature ; … car à quelle cause extérieure attribuer les mouvements qui produisent un si admirable schématisme ? C’est la nature qui opère secrètement au dedans et qui, ayant l’idée de l’espèce à réaliser, façonne la matière sur ce modèle[3]… Les organes ne sont que les instruments de la nature : c’est la nature qui les forme, divers dans les divers cas, pour s’en servir selon les besoins. La nature est donc tout autre chose que l’arrangement des parties intégrantes [4]. » Cette conception dynamiste de la vie conduit notre médecin de la physiologie à la métaphysique : là est le fondement de sa philosophie. On peut dire que, malgré le progrès des théories mécanistes dans tout le domaine des sciences, les penseurs qui ont écrit avec le plus d’autorité sur ce problème de la vie se sont prononcés de plus en plus dans le même sens que Glisson. Si l’école positiviste, avec M. Robin, subordonne encore l’idée de vie à l’idée d’organisme, CI. Bernard n’hésite pas à proclamer que le pur mécanisme ne rend point compte de la vie. Il croit au déterminisme des phénomènes vitaux, mais il va au delà, sentant bien que le mécanisme est la forme des choses, mais n’en peut être le fond. Pour lui aussi, la vie est la cause de l’organisation et non l’effet. « La vie a son essence dans la force de déve-

  1. Ad Lectorem, § 7, 8.
  2. Ibid., 19.
  3. XXIX, 13.
  4. XXXII, 14.