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H. MARION. — françois glisson

loppement organique… S’il fallait la définir d’un seul mot, je dirais. La vie, c’est la création… Ce qui caractérise la machine vivante, ce n’est pas la nature de ses propriétés physico-chimiques, si complexes qu’elles soient, mais bien la création de cette machine, qui se développe sous nos yeux dans des conditions qui lui sont propres et d’après une idée définie…[1] »

Tout en attribuant à la matière même l’origine de la vie, Glisson s’élève donc fort au-dessus du pur matérialisme. Il comprend l’excellence de la vie et toutes les conséquences du dynamisme. « Ce n’est pas chose de peu d’importance que d’attribuer à une substance le principe de vie. Qu’est-ce autre chose, en effet, que lui accorder un principe interne de perception, d’appétition et de mouvement ? Un tel principe ne peut être le produit d’aucune force extérieure, ni le résultat d’aucun arrangement… Il appartient à Dieu seul de l’infuser à ses créatures, dans l’acte même de la création[2]. » Leibnitz dira dans ses Considérations sur le principe de vie : « J’admets effectivement des principes de vie répandus dans toute la nature et immortels ; ils ont perception et appétit. »

Mais il faut distinguer la perception naturelle de la perception sensible. Les sens résultent de l’organisation et en dépendent ; la perception naturelle précède l’organisation. « Les sens sont des modifications de la perception primitive et simple de la nature… S’il n’y avait point de perception naturelle, aucune modification ne ferait apparaître la perception animale ou sensitive : mais la perception naturelle, étant donnée avec la matière, se modifie selon l’organisation, » C’est la perception naturelle qui s’élève d’elle-même au rang de perception animale et produit à cet effet les organes des sens. « Quand la matière est convenablement disposée, s’apercevant qu’elle peut ennoblir et exalter sa perception naturelle, de façon à redoubler en quelque sorte ses actes et à les contempler distinctement, elle entreprend l’œuvre de l’organisation, Pour chaque sens, elle forme un organe approprié, organe double, pour ainsi dire : mi-partie externe, mi-parti interne ; mais, s’apercevant en même temps qu’il n’est pas besoin qu’à tout organe externe corresponde un organe distinct à l’intérieur, elle construit un organe interne unique pour tous les organes externes et les relie à lui par autant de nerfs spéciaux. La sensation n’a jamais lieu que par le redoublement de l’acte perceptif : car, si l’on coupe le nerf grâce auquel la perception est ainsi redoublée, aucune sensation ne se produit. Nul ne peut savoir

  1. Introd. à la médecine expérim., p. 151.
  2. Ad Lectorem, 10.