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H. MARION. — françois glisson

et les Péripatéticiens veulent n’attribuer qu’aux plantes et aux animaux ce mouvement spontané (ab intus provenientem), qu’ils avouent être le signe certain de la vie. Ils ne comprennent pas que les mouvements naturels des corps, la gravité, par exemple, ont pour source un effort ou nisus intérieur, lequel suppose perception d’un but à atteindre et tendance vers ce but. « Ne serait-ce pas une sorte de miracle si les agents naturels n’étaient régis que par le hasard et pourtant agissaient toujours avec ordre, atteignant toujours la fin la meilleure ? » Il faut donc admettre que, ayant en eux le principe de leurs actions, ils en pressentent à merveille la fin, et s’y portent directement. — Mais les actes naturels sont nécessaires ! — Sans doute ; mais agir nécessairement, ce n’est pas toujours être déterminé du dehors. L’agent purement naturel agit nécessairement, en ce que sa perception lui représente l’objet comme immédiatement désirable, sans choix possible ; mais le mouvement n’en est pas moins spontané. Comment un acte ou un mouvement serait-il naturel à une chose, s’il ne provenait du fond même de cette chose, c’est-à-dire de son essence ? Dira-t-on donc que, au-dessous des animaux et des plantes, les corps n’ont point d’actions naturelles ? Si l’on ne veut tomber dans cette absurdité de refuser toute action naturelle à la plus vaste partie de l’univers, il faut donc accepter avec toutes ses conséquences la formule d’Aristote : « Les choses naturelles ont en elles-mêmes le principe de leur mouvement et de leur repos. »

Enfin la cause formelle de la substance, c’est son essence : or cette essence, c’est la vie. Car la vie n’est point un accident ; elle est la substance même dans ce qu’elle a de fondamental. Dire qu’elle disparaît quand la substance demeure, ou qu’elle a ses degrés et varie du plus au moins, ce serait confondre la vie primitive de la nature avec la vie animale, objet de la médecine. La vie dont il s’agit ici, primitive, originelle et simple, ne meurt ni ne change jamais ; seulement, dans les plantes et les animaux, une autre vie vient s’ajouter à elle. Il ne faut pas plus la confondre avec la forme physique qu’avec l’âme végétative ou l’âme sensitive : elle préexiste à l’une comme aux autres et les supporte toutes. « Que peut-on concevoir de plus intime à un sujet quelconque que sa vie naturelle, puisqu’il ne peut la perdre sans perdre son essence même ? » Elle est si loin de lui être accidentelle, qu’elle est le principe de toutes ses actions. C’est à elle qu’il faut rapporter, notamment, les mouvements généraux et fondamentaux des corps, antérieurs à toute nature déterminée, comme la résistance et l’impénétrabilité, « si bien décrite par l’illustre vicomte de Vérulam, sous le nom d’Antitypie[1]. »

  1. On sait l’usage que Leibniz fait de ce mot. Bacon. Nov. org. liv. II. ch. 48).