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En passant des arguments aux faits qui prouvent la vie de la nature, Glisson ne peut s’empêcher de disserter d’abord sur l’action en général, sur la passion, le mouvement, le repos. Contre son maître Suarez, « qu’il a, dit-il, choisi entre tous pour guide et porte-enseigne dans les questions de métaphysique, » il établit, à grand renfort de preuves, que l’action est quelque chose dé l’agent ; que la créature produit ses effets par un déploiement d’énergie, par un effort (nisu movendi) ; que l’agent au repos contient l’action en puissance comme le cachet l’image, et qu’il l’a produit par son mouvement, comme le cachet imprime l’image par action ou réaction sur la cire. S’il en est ainsi, on peut s’élever de l’action à l’agent, de l’effet à la cause, et démontrer la vie de la nature par ses opérations.

Pour restituer à la nature sa dignité, il n’hésite pas à repousser les axiomes d’Aristote et de Descartes sur le mouvement : Tout ce qui est mû est mû par autre chose. Rien ne passe par soi-même du mouvement au repos, ni du repos au mouvement. Au contraire, tout ce qui est a en soi le principe de son mouvement ; et, si c’est là la marque de la vie, c’est que tout vit. Est-ce que, en effet, tout n’agit pas, les corps bruts comme les autres ? De quel droit nier qu’ils agissent par eux-mêmes ? Qu’en sait-on ? On dira qu’ils tiennent leur mouvement de leur cause efficiente (a generante) ; mais « la cause productrice affranchit la chose produite, au moment même où elle la produit. » N’avons-nous pas vu déjà que Dieu ne pouvait faire les êtres naturels incapables d’action, et se mettre dans la nécessité de réparer sans cesse par un concours miraculeux les défauts de son œuvre ? « N’abandonnons pas la nature pour nous réfugier dans le miracle. Ceux qui, pour cacher leur ignorance naturelle, font toujours entrer Dieu en scène, ne méritent pas qu’on les réfute. » Craignons-nous d’attribuer aux choses des effets plus nobles qu’elles-mêmes ? C’est que nous n’avons pas d’elles une assez haute opinion. N’en doutons pas, leur nature est toujours adéquate à leurs effets. L’instinct fait que les oiseaux attendent les petits qui naîtront de leurs œufs : voilà, certes, une prévision qui passe la raison du plus subtil philosophe ; mais en est-elle moins naturelle ?

On dit parfois que les corps bruts doivent leur mouvement aux causes qui écartent les obstacles : ainsi celui qui coupe le fil auquel un plomb est suspendu permet au plomb de descendre. Mais, de même qu’un animal qu’on délie ne pourrait se mouvoir s’il était paralysé, de même le fil qui retient le plomb aurait beau être coupé,

    l’empruntait aux anciens. Voy. Sextus Empiricus, Pyrrh. Hypoth., III, 5. Aristote, Meteor., II, 8 : I, 1, etc.