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C. VIGUIER. — le sens de l’orientation

aussi complet que nous pouvons le supposer, par la valeur des actions magnétiques en inclinaison et en déclinaison, tout aussi nettement qu’il le serait pour nous par l’intersection d’une ligne isocline et d’une ligne isodyname données. Ces conditions magnétiques une fois bien connues, l’animal sera toujours capable de revenir directement à ce point. Transportez-le aux distances les plus considérables, faites lui décrire les circuits les compliqués, narcotisez-le même pendant le transport, il pourra toujours revenir à son point de départ ; car ce n’est qu’en s’en rapprochant que toutes les conditions magnétiques reviendront à la valeur qu’elles ont en ce lieu.

Quelle que soit l’irrégularité du réseau formé sur le globe terrestre par l’entrecroisement des lignes isogones, isoclines et isodynames, et bien que quelques-unes de ces dernières s’entrecroisent plusieurs fois, je crois que l’on peut considérer cette proposition comme pratiquement exacte. On pourrait objecter, il est vrai, que ces lignes varient sans cesse de position à la surface de la terre, et que l’état magnétique d’un point quelconque ne demeure jamais le même. Mais ces variations sont lentes[1] et ne pourraient détourner sensiblement l’animal de sa route. Le sens magnétique, en effet, ne saurait évidemment, dans les conditions où je l’admets, indiquer autre chose qu’une direction générale[2], suffisante pour ramener l’animal dans le même district, où il se reconnaîtrait dès lors à l’aide de ses autres sens, principalement sans doute l’odorat ou la vue. En effet, lorsque, de deux sens susceptibles de s’entr’aider, l’un donne des impressions beaucoup plus nettes que celles fournies par l’autre, les impressions du premier tendent à éclipser celles du second ; et ce n’est que dans le cas où les premières sont empêchées, que les dernières reprennent une certaine valeur. Si nous entrons dans une pièce où l’obscurité est complète, nous nous dirigeons à tâtons,

  1. Je ne parle ici, bien entendu, que des conditions moyennes, en négligeant les variations diurnes.
  2. En partant du point B pour revenir au point A, l’animal aurait sa route tout indiquée par la direction où les conditions magnétiques se rapprocheraient le plus de ce qu’elles sont en A. Il se pourrait fort bien que les grands cercles décrits par les oiseaux voyageurs et les pigeons messagers, au moment du départ, aient pour but de reconnaître cette direction. Celle-ci une fois connue, tout chemin qui s’en rapproche est bon ; celui qui s’en rapproche le plus est le meilleur. On pourrait comparer ceci, dans une certaine mesure, avec ce qui se passe la première fois que l’on visite la ville arabe d’Alger. Si l’on part de la Casbah, qui marque le sommet du triangle que forme la ville, on peut descendre sans remarquer aucunement les rues où l’on passe : on sera toujours capable de remonter au sommet. La notion à garder est en effet des plus simples ; toute rue qui monte est bonne, celle qui monte le plus rapidement est la meilleure (sauf, bien entendu, les impasses, qui correspondent aux impossibilités de la route directe, et exigent le retour en arrière et l’emploi de voies détournées).