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résultats positifs fondés sur des déductions rigoureusement scientifiques.

Il y avait à concilier le sens intime, qui affirme hautement la liberté, avec les sciences naturelles, qui semblent portées à la nier. Je suis parti des données des sciences naturelles ; je n’ai contesté ni la loi de la conservation de la force, ni celle de la diminution progressive de l’énergie transformable ; et j’ai démontré que ni l’une ni l’autre de ces lois n’impliquait le déterminisme.

Mais, s’il était nécessaire d’accorder à la volonté une part d’action sur les choses, il était impossible d’admettre qu’une force nulle pût, à l’aide d’aucun mécanisme, produire un effet quelconque. Quelle puissance restait-il donc à mettre à la disposition des êtres libres ? Une seule, le temps. Agir librement, c’est suspendre son activité.

Comme cette suspension n’empêche pas les choses de suivre leur cours, elle engendre, non pas une force, mais un couple de forces dont le bras de levier est proportionné à sa durée. Ce couple est l’instrument avec lequel les êtres libres accomplissent leurs volontés, soutiennent le combat de la vie, perfectionnent leur individualité et leur espèce. L’histoire des animaux et de l’homme montre qu’en toute chose l’important c’est d’agir au moment favorable. Une action inopportune est non seulement inutile, mais nuisible.

Cette réconciliation du sens intime et de la science est-elle artificielle ? Nullement. L’analyse des actes volontaires montre que la liberté consiste essentiellement dans la délibération. L’être qui ne délibère plus n’est plus libre. Le motif psychique est devenu chez lui impulsion organique.

Comme toute chose, la liberté s’use en s’exerçant et se transforme. Les actions, qui étaient libres d’abord, deviennent bientôt habituelles, puis instinctives. Et, comme les actions avantageuses seules assurent la conservation de l’individu et la perpétuité de l’espèce, la liberté se trouve être ainsi le formateur d’un organisme de plus en plus perfectionné. D’autre part, tout perfectionnement se réduit à un asservissement plus sûr et plus complet de certaines forces naturelles. De sorte que les êtres libres marchent à la conquête de la terre, qu’ils façonnent à leur propre usage.

Mais les espèces luttent pour la domination du globe terrestre’. C’est, en dernier résultat, l’espèce la mieux douée qui doit recueillir les fruits des travaux accumulés par les espèces moins bien douées. Présentement, c’est l’homme à qui semble dévolue la supériorité. En quoi consiste-t-elle ? dans l’art d’obtenir de grands effets avec peu d’effort. On a ainsi non seulement la définition du but de toute vie