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y accommoder l’élaboration des germes qu’elles préparent en plus ou moins grand nombre à la vie ?

Pourtant nous pensons qu’entre les actions héréditaires et les conditions du milieu où elles aboutissent il doit y avoir une certaine harmonie ; mais le fait, tel que nous le voyons, n’a rien de mystérieux. Les causes qui ont préparé l’organisation d’un homme de génie n’ont pas seulement élaboré la forme de son crâne et la structure de son cerveau : elles ont dû agir de mille manières sur ses dispositions, sur ses aptitudes, sur ses idées. Mais ces causes n’étaient pas toutes particulières au petit cercle de ses ascendants. Des influences analogues agissaient dans des sens peu différents sur un très grand nombre de familles. En travaillant à la production d’un homme supérieur, les causes lointaines lui ménageaient par avance le milieu qui devait le recevoir ; elles préparaient par exemple la Renaissance tout entière, en même temps que sur un point donné elles préparaient Raphaël. Est-ce uniquement par l’hérédité physiologique qu’elles le faisaient ? Non sans doute ; et nous ne sommes pas disposés à étendre jusque-là le pouvoir de l’hérédité, Mais les métamorphoses des besoins et des tendances et l’accumulation des idées nouvelles ne peuvent pas ne pas imprimer des impulsions communes à l’ensemble des intelligences et des volontés d’un même temps et d’un même pays. L’homme supérieur ne fera que répondre à ces sollicitations avec plus d’énergie ou avec plus de charme, avec plus d’originalité enfin que tous les autres.

Nous arrivons ainsi à l’opinion de M. James sur l’importance du milieu contemporain. Du moins nous y touchons par un point ; car, sous la forme où elle s’offre à nous, elle nous paraît appeler des réserves considérables.

Si la théorie de M. Galton fait trop grand, à nos yeux, le rôle de la nécessité, celle de M. James fait trop grand le rôle du hasard. Le génie n’est qu’une variation accidentelle, voilà une première idée qui n’est qu’une application des théories de Darwin sur l’origine des espèces. Mais ce rapprochement est-il possible ? est-il rationnel ? C’est que nous allons d’abord examiner.

On sait pourquoi Darwin attache tant d’importance à l’idée qui lui fait chercher l’origine des nouvelles espèces dans une variation accidentelle. La concurrence vitale étant posée, une telle variation lui paraît en effet nécessaire pour constituer un premier écart d’où la forme nouvelle sortira. C’est parce que la variation est fortuite qu’elle est individuelle ; c’est parce qu’elle est individuelle qu’elle constitue un avantage ; c’est parce qu’elle est un avantage que celui qui la possède doit supplanter ses rivaux, accaparer pour lui la