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public sur des problèmes philosophiques qui n’intéressaient autrefois qu’un cercle restreint d’initiés. C’est ainsi que la physiologie nerveuse et la psychiatrie ont renouvelé et agrandi le domaine de la psychologie des sens et de la psychologie morbide. Les exigences nouvelles de la chimie et de la physique ont conduit à soumettre à une critique plus sévère les concepts traditionnels de l’atome, de la force, de la matière. En même temps, les développements inattendus, que recevaient la physique théorique et la physique expérimentale, poussaient les esprits à s’interroger sur les mérites respectifs et les rapports de la méthode inductive et de la méthode déductive. La doctrine de l’évolution nous a obligés de préciser nos idées sur la finalité et sur la nature des hypothèses scientifiques. Les enseignements de la statistique nous forcent de soumettre à un nouveau contrôle les concepts de la liberté et de la responsabilité morale ; et la faveur croissante qui s’attache aux problèmes de la sociologie encourage de nouvelles recherches sur l’origine et le rôle de l’État. Les livres de Lange et de Stuart Mill sont des témoignages manifestes de ce que nous avançons. — De même, les récents progrès de l’analyse géométrique, et les difficultés que présente la conciliation de la géométrie euclidienne avec la géométrie nouvelle et son espace à n dimensions, ont provoqué d’intéressants débats, où le logicien peut à son aise étudier les rapports et démêler les différences de la réflexion logique et de la réflexion mathématique. Stadler s’applique à montrer que le désaccord des partisans de Riemann et d’Helmholtz et des partisans d’Euclide et de Kant repose en grande partie sur des malentendus, et tient à ce qu’on ne distingue pas suffisamment les conditions différentes de la pensée logique et de la pensée mathématique ou scientifique.

J. –J. Baumann. Traité de morale, suivi d’une esquisse de la philosophie du droit. Leipzig, Hirzel, 1879. — Essai ingénieux pour fondre ensemble la morale utilitaire de l’évolution et la morale de l’impératif catégorique. Baumann espère opérer cette difficile conciliation, à l’aide d’une théorie assez nouvelle de la volonté. Les actes que nous appelons volontaires se résoudraient à l’origine en des associations spontanées de mouvements physiologiques et d’idées, les premiers faisant naître les secondes, et à leur tour celles-ci engendrant ceux-là. Plus tard, la conscience des mouvements se serait obscurcie, tandis que celle des idées correspondantes aurait gagné en clarté. Les idées nous seraient apparues bientôt comme l’élément important de la volonté, comme l’agent efficace, décisif. La part du physique s’effacerait ainsi devant celle du moral, à peu près comme nous finissons par devenir insensibles au jeu normal de l’organisme, et à ne nous intéresser à ce facteur essentiel de notre être qu’à cause des plaisirs ou des peines qu’il fait naître en nous. Les nécessités physiologiques de l’individu et de l’espèce seraient ainsi les racines d’où sort la vie morale avec sa riche complexité de sentiments et de notions. La vérité morale ne serait que l’expression d’une profonde vérité physique : Darwin et Kant, la