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faut davantage : il faut un acte moral, il faut un vouloir, le dépouillement de soi-même, le sacrifice de la personnalité égoïste, la charité.

Pour les lecteurs attentifs de notre étude sur le principe de la morale, le grand problème que nous discutons était résolu d’avance. Notre théodicée n’est qu’un corollaire ou plus exactement une application à l’état de l’humanité révélé par l’expérience, des principes de métaphysique et d’anthropologie que nous avons établis au cours de cette recherche. Voulant donner une expression conséquente et suffisamment compréhensive à l’impératif qui fait l’impulsion des cœurs généreux et le remords des âmes faibles, nous n’avons pas trouvé de formule supérieure à celle-ci : l’identification de nos intérêts propres avec les intérêts du genre humain. Et, comme la règle de notre conduite ne saurait se trouver en opposition avec la vérité de notre nature, nous avons conclu de l’idéal moral à la réalité physique, et posé comme fait l’unité substantielle de l’humanité. Cette unité ne peut pas être seulement mise en question par la biologie, où l’on enseigne que l’espèce comprend les descendants d’un commun ancêtre, et où l’on démontre de la façon la plus palpable que la reproduction est une simple croissance, sous la forme d’un fractionnement. Grâce au dualisme convenu de l’âme et du corps, on à réussi pendant quelque temps à faire prévaloir des principes contradictoires dans les sciences morales et dans les sciences naturelles. Ce temps est passé, tout à fait passé ; mais la langue usuelle et l’esprit des gens du monde en ont gardé l’empreinte. C’est l’effet de ces préjugés que nous avons à combattre ; notre tâche présente est avant tout un travail de vulgarisation.

De quoi s’agit-il donc ? Il s’agit de décider si elle est juste ou si elle est injuste la loi naturelle qui fait peser sur les uns les méfaits des autres, qui nous expose inévitablement à la dépravation des mauvais conseils, à la contagions des mauvais exemples, et qui nous dote au berceau de besoins généreux et d’inclinations méchantes. Tout jury respectable auquel une question semblable sera soumise répondra d’une même voix : Elle est injuste, votre loi, souverainement injuste. Et ce verdict sera tel qu’il doit être, venant d’un jury, dont l’unique objet est de considérer les rapports des individus entre eux. Mais quand un philosophe ou, ce qui revient au même, je suppose, un théologien voudra se mettre au bénéfice de cette déclaration du jury et la reproduira pour son propre compte, nous l’inviterons poliment à se rappeler le sophisme connu sous le nom de pétition de principe. Ce philosophe répondrait à la question par la question. Il suppose implicitement qu’il s’agit du