Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 14.djvu/297

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
293
E. PANNIER. — syllogisme et connaissance

mortel, si Alexandre est un A et si tous les A sont mortels, quel que soit le concept représenté par la lettre A. Des données concluantes peuvent donc fort bien n’être pas des données démonstratives. Pour qu’elles jouissent de cette dernière propriété, il faut qu’elles soient connues comme embrassant la cause de ce qui est conclu : la cause, ou ce qui fait, dans la réalité, que tel attribut appartient au sujet. C’est encore ce qu’exprime Aristote : « Savoir une chose, c’est la connaître dans sa cause. Par conséquent, le syllogisme qui engendre la science, le syllogisme démonstratif, est celui qui procède de principes vrais, de principes qui doivent être plus notoires que la conclusion dont ils sont cause… Il peut bien y avoir syllogisme sans ces conditions, mais il n’y aura pas démonstration sans elles[1]. »

La question de savoir si nous démontrons quelque chose par syllogisme, et si nous saisissons des causes qui nous sont « plus notoires » que leurs effets, sont donc une seule et même question.

Saisir une cause en elle-même, c’est en avoir une connaissance telle que nous puissions affirmer qu’elle agit dans tous les cas possibles où elle se rencontre, sans que nous devions passer par la vérification préalable qu’il en est ainsi notamment dans le cas particulier qui fait l’objet du syllogisme.

Sous cette condition d’une connaissance distincte et absolue de la cause, le syllogisme est l’instrument d’une preuve, et sa puissance probative doit s’entendre non seulement dans le sens étymologique (probus, probare), comme tendant à la vérification ou à la justification d’un rapport entre les idées ; elle implique quelque chose de plus, un mouvement dans la connaissance, le développement d’une certitude au sujet des réalités, Inversement, pour que le syllogisme joue le rôle qui lui est attribué dans la connaissance, pour qu’il exerce une action réelle et légitime sur l’état de nos croyances, il est indispensable que la conclusion ne soit pas postulée dans les prémisses, que celles-ci constituent une affirmation ferme, indépen-

  1. Dern. Analyt., I, ch. II, § 1 à 8. — La cause n’est pas, pour Aristote, un fait distinct qui est Le signe invariable de l’effet : c’est une condition suffisante qui embrasse l’effet lui-même, La cause par laquelle on démontre l’existence d’un attribut, est le genre auquel le sujet appartient, parce que ce genre emporte nécessairement avec lui l’attribut. Ce n’est là d’ailleurs qu’une question de terminologie. Dans le syllogisme, ce genre est exprimé par le moyen terme.

    Pour qu’il y ait démonstration, Aristote exige une condition que nous n’avons pas énoncée : c’est que la conclusion repose sur la cause propre de la chose à démontrer. Cette condition se ramène à choisir le moyen terme le plus général. Par exemple la cause propre de ce qu’Alexandre est mortel, ce n’est pas qu’Alexandre est homme, car le genre homme est un genre restreint, et non le genre adéquat auquel convient l’attribut mortel. Sur le sens et les raisons psychologiques où métaphysiques de cette condition, voy. ibid., § 12, et II, ch. IX, § 8.