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E. PANNIER. — syllogisme et connaissance

Au-dessus de la sensibilité est l’intellect, par lequel sont perçues les espèces. Par ce mot d’espèce, il faut entendre tout ce qui, dans les choses, constitue un ordre de détermination accessible à la pensée. Le sensible, essentiellement individuel, ne tombe pas sous les termes d’une définition et ne peut être pensé. De l’image des choses sensibles se dégage l’intelligible, ou les espèces, comme l’image sensible elle-même se développe au contact de la réalité. L’intelligible est en puissance dans les choses matérielles ; il est en acte dans la pensée. Or, tandis que la matière divise les objets, l’intelligible, séparé de toute matière, est un, indivisible, universel. L’espèce déterminée par la perception d’un objet n’est pas numériquement distincte de l’espèce évoquée par un objet analogue. Cependant l’expérience, c’est-à-dire la conservation des images et leur accumulation dans la mémoire, permet à l’esprit de constituer une hiérarchie parmi les espèces. Le discernement du différentiel amène à reconnaître l’identité générique d’un certain nombre d’espèces. Ainsi s’élèvent dans la conscience des types de plus en plus abstraits, de plus en plus uns et irréductibles, jusqu’aux catégories premières de la pensée. L’opération d’où résulte cette superposition des espèces s’appelle l’induction.

En soi, l’intelligible est éternellement vrai. L’objet propre de la pensée ne saurait être autrement qu’il n’est. L’erreur ne se rencontre que dans les concepts composés, produits de la pensée discursive qui ressemble à un mouvement[1].

De ce que la vérité de chaque chose est contenue dans les espèces, et de ce que chaque espèce, une et identique, nous est révélée indifféremment par tout objet qui la possède en puissance, il résulte que nous devons avoir sur les choses des notions universelles, antérieures à la connaissance de tel ou tel cas d’application déterminée. L’espèce est, en ce sens, plus notoire que l’individu : l’espèce homme m’est connue avant que j’aie pu constater en fait l’existence des attributs dont cette espèce est cause dans la personne d’Alexandre. Dès que par un signe quelconque un individu, un cas particulier éveillent en moi l’idée déjà acquise et distincte, de leur espèce, la déduction me permet d’affirmer, de cet individu ou de ce cas particulier tout ce que je sais être applicable à l’espèce. Ainsi se justifie, dans le système d’Aristote, l’acte syllogistique, soit qu’il opère sur les données simples et nécessaires qui sont le produit propre de

  1. Voy. Traité de l’âme, II et III ; Dern. Analyt., II, ch. XIX ; Métaph., II ch. IV. — Comparez, pour l’époque scolastique, S. Thom., Summa theolog., I, quest. 84, 85, 86.