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l’intellect, soit qu’il s’appuie sur les notions plus complexes de la pensée discursive[1].

Après le long règne des doctrines idéalistes de l’école péripatéticienne, le rationalisme qui leur succède n’admet plus la perception directe de l’universel. Il n’y a pas, dans ce système, une mise en acte de l’entendement qui, à l’occasion de chaque objet réel, nous fasse entrer en communication avec l’intelligible. Une idée générale n’est plus qu’une abstraction, l’expression abrégée d’une série de perceptions sensibles. Elle n’offre par conséquent aucune garantie de l’existence d’un, absolu en dehors de la pensée, Le monde de l’intelligible ne nous est cependant pas fermé. Grâce à l’innéité de certaines formes ou de certains principes, la transcendance s’établit du particulier à l’universel, du contingent au nécessaire. L’esprit s’élève à l’absolu par ses propres forces, non au moyen d’une intuition immédiate. Toute doctrine rationaliste repose donc forcément et ouvertement sur un postulatum, qui est l’harmonie préétablie des lois de la raison et des lois extérieures à la raison, l’identité présumée de l’ordre positif et de l’ordre rationnel.

Aucune de ces hypothèses ne paraît désormais en possession d’exercer un empire bien durable sur la pensée philosophique. Il semble donc qu’arrivés à ce point de notre exposition il ne nous reste qu’à reprendre et à nous approprier le jugement de M. Spencer : Le syllogisme est une impossibilité psychologique. Ne nous hâtons pas cependant de conclure, et ne perdons pas de vue que, sous les hypothèses hasardeuses et les interprétations provisoires, restent les faits avoués par l’observation et auxquels les systèmes peuvent

  1. La science, pour Aristote, est un ensemble de théorèmes comparable à un traité d’algèbre ou de géométrie. Les principes premiers, irréductibles, sont des notions que l’Entendement saisit en lui-même dans son identification directe avec les Espèces. L’objet des théorèmes est l’Être, la Réalité dans toutes ses manifestations intelligibles. La science ainsi constituée forme un fermes, de propositions nécessaires, que l’Intelligence formule avec une infaillibilité absolue, sous la seule condition d’un usage correct du syllogisme. Ce système de notions ne comprend : ni les formes purement sensibles, dont la perception nous est commune avec les animaux, ni les opinions, objets de la pensée discursive, que leur complexité empêche de revêtir le caractère de l’évidence.

    Cette conception de la science n’exclut en aucune matière l’intervention de l’Expérience, condition première de toute opération et de toute acquisition intellectuelles. Elle diffère de la conception moderne : 1o par la distinction vaine du Sensible et de l’Intelligible, entendus comme ils le sont par Aristote, 2o par la rif d’un dogmatisme inconciliable avec le caractère perpétuellement hypothétique des principes. Il n’existe pour Aristote que des lois définitives. Pour la science telle que nous la comprenons, il n’y a que des vérités conditionnelles, ce qui revient vraisemblablement à dire : il n’y a pas de métaphysique.