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E. PANNIER. — syllogisme et connaissance

servir en quelque sorte de cadre mnémotechnique. Tous ces systèmes proclament une anticipation de la conscience sur l’expérience, et cette anticipation suffit au moins pour expliquer pratiquement l’usage du syllogisme. De plus, l’opération classée et définie sous ce nom, présente ce caractère d’obéir à un ensemble de lois précises et rigoureuses que nous reconnaissons d’instinct, à tel point qu’un esprit même peu cultivé n’éprouve aucune difficulté à discerner, sous une forme suffisamment claire, un bon syllogisme d’un autre qui ne l’est pas. Il y a dans ce fait une présomption irrésistible que nous sommes en présence d’un acte de la pensée d’un emploi naturel, légitime et fréquent[1]. Toute la question revient probablement à reconnaître cet acte sous un aspect et avec des caractères différents de ceux que la tradition nous porte à lui attribuer.

I

Pour établir l’ « impossibilité psychologique » de l’acte syllogistique, on invoque d’abord le sens normal du développement de la pensée, qui tend à procéder non du général au particulier, mais du particulier au particulier ou du particulier au général.

Voici d’ailleurs comment M. Spencer expose ce qu’il entend par un raisonnement. C’est une opération consistant dans la formation d’une série d’états de conscience associés. L’intelligence qui raisonne ne déduit pas. Elle ne s’élève ni ne descend dans l’ordre du général au particulier : elle relie des idées. À chaque pas du raisonnement, on vérifie la force de cohésion de toutes les connexions affirmées où impliquées. On arrive à la conclusion finale, qui se vérifie de même. S’il y a un raisonnement opposé dont les pensées composantes sont, après examen, plus cohérentes que celles de la première série, ou s’il existe, sans raisonnement, une conclusion dont les éléments ont une cohésion directe supérieure à celle que le raisonnement pourrait établir, ce sont ces conclusions qui doivent prévaloir. Une discussion dans la conscience est simplement un essai de la force qui lie les différentes connexions des états de conscience. Il y a des cohésions invincibles résultant d’une énorme accumulation d’expériences et auxquelles aucun raisonnement ne peut donner une nouvelle garantie[2].

  1. « Les règles du syllogisme sont tellement naturelles, dit Pascal, qu’on ne peut pas les ignorer. » (Esprit géométrique, I.)
  2. Voy. Spencer, ibid., § 446 et 447, t. II, p. 468 et suiv.