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tandis que la présentation de l’autre ne rencontre aucun crédit, cela tient à des circonstances indépendantes de la constitution normale de l’opération. Le syllogisme n’a directement ni pour propriété ni pour fonction d’exercer une action sur l’état de nos croyances.

Il n’y a donc pas à rechercher, lorsque nous raisonnons, dans quelle mesure nos jugements correspondent à la réalité, ni à distinguer par conséquent entre les idées vraies, fausses, arbitraires, inintelligibles. Tout ce qui peut être formulé par une proposition implique une possibilité de substitution, dont le verbe être est le signe, et peut par suite pénétrer dans le cadre du raisonnement. C’est par une opération préalable et distincte que s’établit, ou se postule, la concordance de ces propositions avec les relations extérieures qui servent de base à la connaissance. Peu importe par conséquent comment s’élaborent les hypothèses du savant, les préceptes du moraliste, les propositions du théologien, les principes du jurisconsulte… Les lois qui sont l’objet de leur science ou de leur spéculation ne pénètrent dans le raisonnement que comme lois verbales. Quant aux mathématiques, elles occupent une place à part : elles sont la forme libre du raisonnement, en ce sens tout au moins qu’aucune préoccupation ne se révèle chez le mathématicien sur l’accord à établir entre ses formules et les rapports qui sont l’objet de la connaissance. C’est à un caractère que nous aurons à préciser et à développer[1].

III

Faisant l’application des notions générales qui précèdent, arrivons aux exemples ou à l’un des exemples proposés par M. Spencer comme types du raisonnement extra-syllogistique.

« Comment, dit-il, pourrions-nous exprimer en syllogismes les « data pour cette conclusion : deux choses égales à une troisième sont égales entre elles[2] ? »

À défaut de raisons théoriques établissant effectivement le caractère extra-syllogistique de cette proposition, nous devons aborder comme une question de fait la difficulté qu’on nous propose et essayer de la résoudre par une épreuve directe.

  1. « Le raisonnement n’est peut-être autre chose qu’un assemblage et enchainement de noms par ce mot : est. D’où il s’ensuivrait que par la raison nous ne concluons rien du tout touchant la nature des choses, mais seulement touchant leurs appellations : c’est-à-dire que nous voyons simplement si nous assemblons bien ou mal les noms des choses selon les conventions que nous avons faites… » (Hobbes, cité par Port-Royal, Logique, I, ch. I.)
  2. Spencer, ibid., § 304, trad., t. II, p. 96.