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notes et discussions


SUR LE SENS ÉQUIVOQUE DES MOTS

ANALYSE ET SYNTHÈSE

Je soumets aux lecteurs les simples réflexions qui suivent sur le sens des mots analyse et synthèse. Ces mots sont pris dans deux sens tout opposés, non seulement dans les ouvrages spéciaux, mais même dans les ouvrages élémentaires.

La Logique de Port-Royal[1] compare l’analyse au procédé par lequel on trouve les ascendants d’un descendant donné : Louis XIV descend de saint Louis, car il est fils de Louis XIII, qui est fils de Henri IV, qui est fils de Antoine de Bourbon, roi de Navarre, lequel descend de saint Louis. La synthèse est le procédé contraire, elle va de saint Louis à Louis XIV.

Condillac[2] dit que l’analyse consiste à démonter et à remonter successivement une machine pour en connaître les rouages. La synthèse est ainsi supprimée et rentre dans l’analyse.

D. Stewart[3] consacre vingt pages à étudier le sens des mots analyse et synthèse dans la langue philosophique moderne et soutient qu’il y a deux sortes d’analyse et deux sortes de synthèse : l’analyse et la synthèse des mathématiques, et l’analyse et la synthèse des sciences physiques et naturelles. En mathématiques, l’analyse est la régression du conditionné au conditionnant ; en physique, elle est « la décomposition d’une chose complexe en ses éléments constituants ». Il se plaint que les auteurs n’aient pas distingué ces deux sens. Newton, par exemple, soutient qu’aller des phénomènes aux lois c’est faire une analyse ; Hooke au contraire prétend que l’analyse consiste à aller des causes aux effets.

Dans le plus récent et le plus remarquable de tous les ouvrages élémentaires, M. Janet[4] reconnaît l’obscurité que « les sens bien différents des deux mots analyse et synthèse a jetée sur la théorie de la méthode ». — Il expose d’abord le sens dans lequel Condillac a pris ces mots, puis le sens de Port-Royal. Il aborde enfin le sens mathématique des deux mots et croit avec M. Duhamel[5] que toute analyse peut se réduire à une analyse mathématique.

Ce n’est pas ici le lieu de discuter cette dernière assertion. Mais on voit quelle confusion doit naître dans l’esprit du malheureux débutant en philosophie qui cherche à se former une idée nette sur le sens de

  1. IVe part., ch.  II.
  2. Logique, ch.  II. — Art de penser. ch.  IV.
  3. Philosophie de l’esprit humain, trad. Peisse, t.  II, pp. 249-268.
  4. Traite élémentaire de philosophie, Delagrave, 1880, pp. 469-474.
  5. Méthode dans les sciences de raisonnement, 2e édit. Gauthier-Villars, 1875, pp. 79-83.