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ANALYSES. — A. CHIAPELLI. Panthéisme de Platon.

polémiste pour avoir une prompte réponse. Je ne m’arrêterai donc pas à relever quelques rares erreurs de détail, et je constaterai seulement que le critique italien possède parfaitement son Platon et sait le commenter avec intelligence. Pour Aristote, il n’en est pas tout à fait de même, et je puis notamment signaler en passant un argument qui me parait quelque peu singulier.

Pour établir la fidélité avec laquelle, suivant lui, le Stagirite a dû rendre compte des opinions de son maître, M. Chiappelli invoque la fidélité bien constatée, dit-il, dont a fait preuve Aristote en rapportant les doctrines des philosophes antérieurs. Je me demande comment on aurait pu constater cette fidélité, alors qu’Aristote et son école ont de fait fourni la source unique d’où nous sont parvenus, directement ou indirectement, les renseignements tant soit peu circonstanciés que nous possédions sur les présocratiques. Si M. Chiappelli avait suffisamment approfondi l’histoire de ces philosophes, il eût sans doute reconnu que l’application constante et abusive qu’Aristote fait à leurs doctrines des concepts définis et précisés par lui-même, le rend, en ce qui les concerne, au moins aussi sujet à caution que lorsqu’il s’agit de Platon.

J’arrive enfin à la question de l’immortalité de l’âme suivant Platon, question capitale, parce que c’est en réalité de sa solution que doit dépendre l’interprétation de la doctrine des Idées, quoiqu’au premier abord les deux problèmes paraissent entièrement séparés.

Je vais essayer de traiter brièvement cette grave question, sans me perdre dans la discussion des textes.

L’immortalité de l’âme peut être conçue sous trois formes distinctes, auxquelles correspondent plus ou moins exactement trois mythes des Dialogues :

1o L’immortalité personnelle, impliquant le souvenir : c’est celle des croyances populaires et du mythe du Phédon ;

2o L’immortalité individuelle, celle du dogme de la métempsycose, suivi dans le mythe du livre X de la République, toutefois avec un mélange des croyances populaires ;

3o L’immortalité substantielle, la véritable croyance de Platon, suivant Teichmüller, L’âme humaine est une partie de l’âme universelle ; elle s’en détache pour la naissance, elle y rentre à la mort. Le mythe du Phèdre, malgré le maintien exotérique de l’individualité des âmes, semble être, dans cet ordre d’idées, celui qui représente le plus exactement la pensée de Platon[1]. Il suffit de remarquer en effet que, dans cette thèse, l’âme du monde est nécessairement formée de parties plus ou moins pures, et que, quoi qu’il arrive, le sort des plus pures doit toujours être plus noble que celui des moins parfaites.

  1. C’est surtout pour ce motif qu’il me paraît impossible d’admettre que le Phèdre soit le premier dialogue écrit par Platon, comme pourtant Usener l’a encore soutenu récemment dans une savante dissertation : Abfassungszeit des platonischen Phaidros, Bonn, 1879.