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Il va de soi que l’immortalité personnelle est inconciliable avec la théorie de la réminiscence, qui, à première vue, semble au contraire adaptée au dogme de l’immortalité individuelle. Mais la moindre réflexion suffit pour montrer que des existences antérieures, semblables à la nôtre, ne peuvent, si multipliées qu’on les suppose, expliquer en rien la connaissance actuelle des Idées par notre âme. L’immortalité substantielle, par la communication antérieure de notre âme avec l’âne universelle, c’est-à-dire avec le lieu même des Idées, est donc la seule doctrine capable de rendre compte du fait que Platon désigne par le terme d’ἀναμνήσις.

À cette conclusion inévitable, une seule objection est possible. Comment se fait-il que Platon n’ait jamais exposé cette doctrine ouvertement ? comment l’a-t-il au contraire déguisée sous des mythes qui ne s’accordent guère entre eux que pour la nier de fait ? C’est, nous dit M. Chiappelli, que Platon était en réalité irrésolu sur cette grave question ; que, retenu par des motifs éthiques et autres, il ne voulait pas tirer la conclusion logique de ses principes et tenait à maintenir la croyance à l’immortalité, au moins individuelle. La gloire de Teichmüller serait donc, non pas d’avoir rétabli la véritable pensée de Platon, mais d’avoir reconstruit, contre le maître lui-même, un platonisme systématique et sans incohérences.

La question se reporte donc sur le sens et la valeur à attribuer aux mythes platoniciens ; c’est une question de méthode, et nous revenons ainsi à l’examen du point que nous avions différé.

Jusqu’à ces derniers temps, la solution qui pouvait encore sembler la meilleure consistait à penser que Platon regardait la dialectique comme insuffisante pour résoudre tous les problèmes, et que, là où elle lui faisait défaut, il avait recours aux mythes.

Ce principe d’interprétation reste à la rigueur soutenable pour qui voudrait combattre les déductions de Teichmüller. On peut concevoir un Platon qui, attaché dès son enfance à la doctrine de l’immortalité personnelle ou individuelle, ne l’aurait jamais sérieusement soumise à l’épreuve de sa dialectique ; on aurait tort alors de lui attribuer toujours les conséquences de ses principes. Certes le penseur serait bien diminué ; il n’en subsisterait pas moins un caractère digne d’étude.

Mais le Platon de M. Chiappelli, apercevant l’inéluctable conclusion de ses théories et la rejetant pour lui substituer des croyances qu’il ne saurait même préciser, j’avoue que je ne puis le comprendre. Celui-là me semblerait à rayer de la liste des philosophes.

Notre auteur invoque à ce sujet un exemple qui me semble bien ma choisi ; suivant lui, « on ne peut nier que Kant avait moins foi dans la théorie finaliste de la Raison pratique que dans la doctrine critique de la Raison pure. » N’est-il pas au contraire surabondamment démontré que le fond même du philosophe de Kœnigsberg, c’est la croyance aux postulats éthiques, et que, pour lui, la Critique de la raison pure a comme but principal : faire table rase pour élever sans obstacle les con-