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notices bibliographiques

tout cela est trop connu aujourd’hui. M. Büchner a eu raison de les donner dans un livre de vulgarisation des théories darwiniennes.

Ce qui est peut-être plus original dans sa brochure, et ce qui en est le but avoué, c’est quand il parle de l’hérédité appliquée à l’homme, non seulement au physique, mais encore dans ses éléments psychiques, Il explique d’une manière toute naturelle et le génie et la moralité et ce prétendu impératif catégorique inné et jusqu’aux catégories de Kant elles-mêmes. Rien de tout cela n’est inné. C’est la lente acquisition des siècles écoulés, l’héritage transmis de génération en génération, fruit d’une accumulation sans fin, se traduisant dans le cerveau, « ce registre organisé d’expériences infiniment nombreuses », comme dit H. Spencer, par un développement insensible, mais réel de sa masse (les crânes mesurés par le docteur Broca le prouvent), et plus encore par son organisation intérieure et par le développement de la substance grise. Le génie est souvent un fait d’atavisme ; d’ordinaire cependant, il vient du père ou de la mère ou de tous les deux à la fois, et, pour la moyenne au moins, il a besoin de direction et de culture. Le sentiment moral se développe peu à peu ; personne n’apporte en naissant une voix de la conscience toute formée, des prescriptions morales toutes faites ; la morale n’est pas l’effet d’un contrat ; ce n’est pas quelque chose d’inné ; nous verrons, dans un article en préparation sur le troisième volume de Lazarus, La Vie de l’âme, que le philosophe de Berlin s’accorde sur ces deux derniers points avec M. Büchner, dans la quatrième dissertation de son livre (De l’origine des idées morales). M. Büchner fait la guerre au mot instinct, et ici encore il a M. Lazarus de son côté[1]. Ce qu’on veut bien appeler ainsi n’est pas réservé à l’animal seul ; l’homme a une foule de penchants instinctifs ; sa liberté n’est qu’une liberté fort restreinte par les lois de l’hérédité. Celle-ci n’en est pas moins pour notre auteur la source de tous les progrès dont nous n’avons encore vu que les prémisses ; un avenir sans limites s’ouvre devant le genre humain. Sans remonter à ce qu’était celui-ci aux temps préhistoriques, songeons seulement aux progrès accomplis depuis le début de ce siècle, et nous ne trouverons pas exagérées les espérances du savant allemand. Il est possible que sa manière de voir ne soit point partagée par tout le monde ; sa brochure ne laisse pas d’être un excellent résumé d’une doctrine célèbre depuis longtemps et au sujet de laquelle vont sans doute s’engager de nouvelles luttes.

H. Schmidt.

Dr Alex. Wernicke. Philosophie als descriptive Wissenschaft. (Braunschweig u. Leipzig, Gœritz, 1882.) 1 broch, in-16 de VIII-40 p. 

« Ce qui manque au protestantisme libéral, c’est une métaphysique populaire, » dit quelque part l’auteur de cet opuscule, Quoiqu’il ne se

  1. Celui-ci dit, p. 369 du livre cité : « L’idée d’instinct reste toujours pour une chose obscure, une explication plus obscure encore et une cause de confusion, surtout si on l’introduit dans les questions psychiques les plus élevées. »